Le 26 mars s’est tenu au tribunal correctionnel de Lille un procès pour violences conjugales où les deux parties tenaient des versions différentes. Aidée par la constance de ses déclarations, et les preuves médico-légales du dossier, la victime, Zhour E. a obtenu gain de cause.

En septembre 2020, la police de Lille est appelée par un homme de 36 ans. Lorsqu’ils arrivent à son domicile, ils découvrent les restes d’une scène de violence : assiettes cassées, nécessaire à maquillage renversé… Sa femme, Zhour E., a des griffures sur les bras, et des echymoses sur les jambes et le visage, qui lui vaudront 4 jours d’interruption temporaire de travail (ITT). 2 jours après cette soirée, elle porte plainte pour violences conjugales. Son mari, Cyril E., était jugé pour cela le 26 mars au tribunal correctionnel de Lille : il a été condamné à 18 mois de prison, dont 6 mois fermes.

Zhour E. a toujours été constante dans sa version des événements. Lors de l’audience, elle explique que ce soir-là, ils se sont disputés à cause d’un projet immobilier au Maroc, dont l’argent dédié avait disparu. Le ton est monté, puis il lui a donné des coups de pieds et de poings, l’a tirée par les cheveux, l’a insultée, et a menacé de la tuer. Elle poursuit en racontant que depuis un an, il a été violent 3 ou 4 fois, mais jamais à ce point. La violence verbale est cependant présente depuis le début de leur mariage.

A la barre, Zhour E. s’exprime difficilement. Elle a le dos voûté et semble très intimidée devant la Présidente de l’audience, qui lui pose ses questions avec douceur. Elle n’ose pas regarder son mari. Son avocate expliquera plus tard qu’elle a très peur de lui, et que cela fait des mois qu’elle n’ose plus se déplacer seule pour aller au travail. Mais quand on lui demande de raconter sa version des faits, tout son corps s’anime. Elle tient à ce qu’on la croie, et décrit l’appartement avec des gestes : « Ici il y avait le four, là-bas le frigo, lui était à côté ». 

“Si c’est moi qui ai fait ça, je ne m’en rappelle pas”

Cyril E., cheveux coupés ras, lunettes rectangulaires sur les nez, nie en bloc : « C’est elle qui a réagi comme une folle. Si c’est moi qui ai fait ça, je ne m’en rappelle pas ». Confronté à l’expertise médico-légale selon laquelle Zhour E. n’a pas pu se faire mal toute seul, il soutient qu’il ne l’a pas touchée. 

Cyril E. et Zhour E. sont mariés depuis 2017. Elle décrit une relation d’emprise qui commence dès le début de leur mariage : ils ont un compte bancaire commun sur lequel elle n’a que très peu de visibilité, il lui interdit de parler à sa mère et sa soeur, lui rappelle qu’elle peut à tout moment être renvoyée au Maroc, son pays d’origine, car elle n’a pas encore de papiers français. Lors du procès, il déclare qu’elle l’a épousé par intérêt, afin de voir sa situation en France régularisée. 

C’est la thèse qui est retenue par l’avocat de la défense. Lors de sa plaidoirie, il dénonce le manque de preuves contre son client, et émet une hypothèse sur les raisons qui pourraient pousser Zhour E. à mentir. « Elle n’a jamais eu un comportement d’épouse, elle est tout le temps avec sa famille, et en plus Cyril E. découvre qu’elle lui a détourné de l’argent. Il décide donc de demander le divorce. Elle pense que cela va fragiliser sa position sur le territoire, donc elle orchestre cette scène. Ce n’est pas absurde » déclare-t-il. Zhour E. a pourtant aujourd’hui un emploi en France qui lui permettrait d’obtenir des papiers même sans être mariée à un Français. Le divorce n’a pas encore eu lieu, mais lors de son procès, Cyril E. a confirmé son souhait de se séparer de sa femme.

Déjà deux mentions de violences conjugales sur son casier judiciaire

Les explications de Cyril E. ne convainquent toutefois pas la procureur. « Les dossiers de violences conjugales sont souvent difficiles, surtout quand la victime est mise en cause par le prévenu » déclare-t-elle. Elle se dit stupéfaite d’entendre Cyril E. assurer qu’il ne se souvient pas des faits, et très inquiète : « Je me dis qu’il n’est pas prêt à travailler sur sa violence. Monsieur risque de se retrouver un jour dans la rubrique faits divers ». Ce n’est pas la première fois qu’il est mis en cause pour violences conjugales : il a été condamné pour ce chef d’accusation à deux reprises, en 2008 et 2011, après avoir frappé son ancienne conjointe. La procureur requiert donc une peine conséquente, qu’elle espère dissuasive, de 2 ans de prison, dont un an de sursis assorti d’une mise à l’épreuve de 3 ans. 

Cyril E. est finalement reconnu coupable, et condamné à 18 mois de prison, dont un an de sursis probatoire (valable sur une période de 3 ans). Les 6 mois fermes qu’il devra effectuer seront aménagés en détention à domicile avec un bracelet électronique. Il doit également suivre des soins, indemniser sa femme, et suivre un stage sur les violences intrafamiliales. Une victoire pour Zhour E., qui s’empresse de sortir à l’issue de l’audience, avant de souffler un « merci » soulagé à son avocate. 

Sophie Cazaux

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