Pour les femmes victimes de violences conjugales, la séparation ne signifie pas nécessairement la fin du calvaire. Sandrine, 41 ans, partie du domicile conjugal il y a un an, raconte la peur qui perdure et dénonce le harcèlement que lui ferait subir son ancien compagnon.

Le dimanche 10 mai 2020, Sandrine s’en souvient comme si c’était hier. Pour le commun des Français, c’était le dernier jour du premier confinement, celui qui avait commencé au mois de mars. Sandrine, elle, s’en rappelle comme le jour où Alexis (1), son compagnon, lui a ordonné de faire ses valises, de se casser, de quitter définitivement le domicile conjugal, cette belle maison dans l’Oise où ils avaient emménagé en 2014. Une rupture qu’elle a vécu comme un soulagement, elle qui confie qu’elle ne serait « jamais partie » de son propre chef par peur de perdre la garde de leur fils, Fabien (1), né en 2011.

Sandrine et Alexis se sont rencontrés en 2002, dans un bar de Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais). C’est à peu près au moment de sa grossesse que les violences ont commencé, assure Sandrine, aujourd’hui âgée de 41 ans, qui décrit son ancien compagnon comme un buveur forcené, d’autant plus violent qu’il était ivre. Ce furent d’abord des mots durs, du dénigrement, des insultes, « salope », « connasse ». « À force d’entendre qu’on est conne, on finit par y croire », lâche l’intéressée, qui a fait un burn-out en 2019.

De sa voix posée, qu’entrecoupent de temps en temps ces pleurs qu’elle peine à réfréner, Sandrine raconte aussi les viols qu’elle subissait, dit-elle, trois fois par semaine environ à partir de 2018. Et les coups, qui pleuvent surtout quand « Monsieur » a bu. En octobre 2017, Alexis, nu, pourchasse sa compagne partie se réfugier dans la chambre de leur enfant. Là, il lui assène des coups de pied et tente de l’étrangler. Sandrine en est persuadée, il a essayé de la tuer.

Depuis la séparation, Sandrine a refait sa vie. La quadragénaire aux cheveux bruns et aux traits tirés par la fatigue est revenue vivre près de chez ses parents, avec son fils Fabien, dans le petit village de l’Artois où elle a grandi. Elle a trouvé un travail dans une boîte qui fabrique des panneaux de porte. Et pourtant : un an après qu’elle a quitté l’Oise, la mère de famille continue de souffrir des années de violence qu’elle a endurées.

Souvenirs traumatisants

« J’ai peur tout le temps. Ce que je vis est horrible », déplore Sandrine, qui raconte qu’elle fait encore des insomnies et des cauchemars. L’odeur de la cigarette l’effraie, car elle lui rappelle Alexis. Idem pour la musique à fond. Parfois, les souvenirs ressurgissent, violents et traumatisants : « La dernière fois, j’ai essayé de regarder un documentaire sur les attentats du Bataclan. Je n’ai pas pu : je me suis rappelée que ce 13 novembre 2015 [jour des attentats, ndlr.], Alexis m’avait violée sur le canapé du salon. »

Le 29 mai 2020, le médecin de Sandrine lui a diagnostiqué un syndrome anxieux réactionnel. « Ce type de réaction est extrêmement fréquent chez les victimes de violences conjugales, explique Stéphanie Damen, psychologue, qui a travaillé pendant près de dix ans au Centre d’information des droits et des familles (CIDFF) de Lille. Cela varie d’une personne à l’autre, mais on retrouve régulièrement des phénomènes de dépression, de troubles anxieux, de troubles du comportement ou du sommeil… Ces symptômes peuvent perdurer pendant des années, voire pendant toute la vie, surtout s’il n’y a pas de prise en charge. »

Harcèlement

À l’entrée de son nouveau chez-soi, Sandrine envisage de mettre une alarme. Dans des tiroirs, elle a dissimulé quatre bombes lacrymogènes, dont une dans la chambre de Fabien. Elle a peur de voir Alexis débarquer. En juin 2020, celui-ci a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de contacter son ancienne compagne. Une sanction qui faisait suite à une nouvelle altercation, survenue alors que Sandrine, alertée par un voisin que son « ex » était en train de « casser des murs », était revenue précipitamment dans la maison de l’Oise. Pour les faits commis ce jour-là, il a été condamné en décembre à six mois de prison avec sursis. À cette même période, son contrôle judiciaire a pris fin, ce qui l’autorise de nouveau à écrire autant qu’il le désire à la mère de son fils.

Sandrine dit être victime de « harcèlement ». Au cœur des messages qu’Alexis lui envoie régulièrement, « généralement le jeudi » : la garde de Fabien. Il l’accuse de l’empêcher de voir l’enfant, demande à venir prendre un café à leur domicile pour discuter. Elle dément, assure que Fabien ne veut plus entendre parler de son père. « Il a vu des choses, des coups, des scènes de violence. Un petit garçon, ça ne peut pas oublier ça », soupire-t-elle.

Le 17 juin, le juge des affaires familiales statuera sur le sort de l’enfant. La mère et son avocat proposent au père un droit de visite tous les quinze jours, en lieu neutre. « Monsieur » voudrait pouvoir voir son fils tous les weekends. Mais ses espérances pourraient rapidement être anéanties : la plainte déposée le 3 juin 2020 par son ex-compagne, portant sur les faits de violence commis pendant la période de concubinage, a récemment été transmise au Parquet. L’Artésienne espère que l’affaire sera jugée avant l’été.

« Personne n’a jamais appelé pour vérifier que je n’étais pas morte »

Peu à peu, Sandrine guérit. Le week-end, elle fait du vélo avec Fabien, ou elle l’emmène manger au McDo du coin. « On a refait notre vie », sourit-elle. Mais elle regrette d’avoir été trop peu accompagnée, tout au long de son parcours de victime. « Il faut tout le temps batailler pour être protégée. Quand j’ai déposé ma première main courante, en 2017, on m’a laissé repartir dans la nature comme ça », se souvient celle qui déplore aussi qu’entre la première fois où elle a contacté le CIDFF de Compiègne, en 2017, et la séparation en 2020, « personne n’ait jamais appelé pour vérifier [qu’elle n’était] pas morte ».

Depuis, la quadragénaire a vu une psychologue. Elle est aussi soutenue aussi par l’association France Victimes, et par une intervenante sociale en gendarmerie avec qui elle est en contact régulier. Mais elle en veut aussi à la justice, à qui elle reproche d’avoir été trop lente à traiter sa plainte. « J’aurais dû me faire violer par un acteur, j’aurais eu un rendez-vous plus vite », commente, amère, cette « guerrière », comme elle aime à se décrire.

Aujourd’hui, Sandrine a décidé de parler. Elle a écrit à tout-va, à des émissions, à Marlène Schiappa, même à l’Élysée, qui lui a répondu et lui a transmis les « chaleureuses pensées » du président de la République. « J’ai besoin de témoigner, d’avoir tout dit, de mettre des mots sur les maux, explique-t-elle. Ce que j’ai vécu, je ne veux pas que ça arrive à d’autres. » Plus tard, quand tout cela se sera apaisé, Sandrine veut aller encore plus loin : « Je voudrais écrire un livre pour raconter mon histoire. Ou un livre-repère, pour apprendre aux femmes à détecter les violences conjugales. »

Samuel Ravier-Regnat

(1) Le prénom a été changé

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