Après un viol, le rock acrobatique a permis à Lucas Mellet-Leclere de réapprendre à apprécier son corps. Danse de couple et de contact, il a dû faire confiance à nouveau à ses partenaires pour pratiquer sa passion. Aujourd’hui, il souhaite partager cette expérience, et surtout offrir un cadre sécurisant pour tous pour danser, en cocréant l’association Once upon a rock.
Avec votre ami Guillaume Lefeuvre, vous fondez une association qui a pour objectif d’aider ses membres à se réapproprier leur corps grâce à la danse. Pourquoi choisir le rock acrobatique, qui nécessite un partenaire et du contact, plutôt qu’une danse individuelle ou de l’art-thérapie ?
Avec Once upon a rock, l’idée est de reprendre la formule de conte de fée « et ils vécurent heureux… avec la danse ». Quand on danse, on libère des hormones de plaisir. D’abord, parce que c’est un sport, mais aussi, car il y a des objectifs concrets : arriver à faire mouvement que l’on admire procure une immense satisfaction. On passe de défi en défi, en créant quelque chose de beau. Dans le rock acrobatique, il y a un côté « wahou ». C’est une danse qui permet d’exécuter des figures et des mouvements que l’on imaginerait complètement impossibles.
J’ai reçu plusieurs témoignages d’élèves en surcharge pondérale qui m’ont confié n’avoir jamais pensé pouvoir être soulevées aussi facilement, que la sensation de ne plus rien peser était incroyable. Cela les a aidées à s’accepter. C’est pour cela que nous n’avons pas de public cible pour notre future association. L’objectif est d’aider qui en a envie, même si c’est une seule personne. Par exemple, la danse a aidé Guillaume à réapprécier son corps dans une période de dysphorie (ndlr : un état de détresse psychologique élevé) de genre et physique.
Les danses de couple ont traditionnellement un leader qui initie le mouvement et un follow qui se laisse guider. Le rock est beaucoup plus libre. Déjà, ces rôles ne sont pas genrés. Ensuite, les follows ont droit à des initiatives et au refus. C’est ce qui rend une chorégraphie riche. Le principe même de cette danse est propice à rappeler que l’on a un droit sur notre corps et que l’on peut l’utiliser.
Il y a trois ans, vous avez subi un viol par une personne dans votre cercle de danseurs. Comment se reconstruire après cela ?
Il y a eu une phase où j’ai arrêté de danser. Je me suis beaucoup renfermé, j’ai commencé à éviter la gent féminine. Je considérais que mon corps était souillé, qu’il ne valait plus la moindre attention. Il n’avait plus de valeur pour moi, je ne voyais pas comment en retirer du plaisir. Se réapproprier mon corps, c’était d’abord me rappeler qu’il était vraiment à moi. Que ce n’est pas juste un objet dont les autres peuvent disposer.
La danse de couple m’a permis de réenvisager le contact, sans qu’il y ait d’autres intentions derrière. Le rock a été le centre névralgique de ma rémission, car les thérapies que j’ai suivies m’ont fait plus de mal que de bien. Mais cela a été long, car je côtoyais le cercle de la personne qui m’a violé.
Depuis 2017, plusieurs milieux ont vu déferler des témoignages de violences sexuelles par le biais du mouvement #MeToo. La danse n’est toujours pas concernée en 2024. Comment pratiquer sereinement ce sport, où le corps et le toucher sont centraux ?
Quand j’ai partagé ce que j’avais subi dans l’association où j’étais il y a trois ans, j’ai été écouté mais pas entendu. J’ai subi une double peine, car en faisant le choix de ne pas prendre parti, mon entourage a choisi de privilégier mon agresseuse. Pendant plusieurs mois, je ne pouvais plus me rendre à des événements, parce que sa présence me rendait littéralement malade. J’ai eu des soucis cutanés et un début d’ulcère à l’estomac, alors que j’allais mieux psychologiquement. Malgré ces symptômes physiques et mon témoignage, l’association, que j’avais aidé à bâtir, n’a pas voulu exclure cette personne des événements. Donc je m’en suis détaché.
L’idée de se réapproprier son corps grâce à la danse est uniquement possible si l’on propose un cadre sécurisant, où toutes les personnes qui ont souffert peuvent parler. Dans le rock, on met l’accent sur le consentement. Les conseils que je donne comme professeur commencent toujours par « si vous le voulez, vous pouvez faire tel mouvement et si vous ne l’acceptez pas vous pouvez faire telle autre action. »
On tente de retranscrire ce principe dans les statuts de notre future association. Nous voulons être à l’écoute de nos membres. Lors des événements, chacun pourra mettre des warnings sur les invités. A l’adhésion, il faudra signer une charte et être en capacité de comprendre que soi-même, on peut se voir refuser la participation à une activité si notre présence met mal à l’aise une victime.
Propos recueillis par Clara Duban