En 2019, Marlène Schiappa annonçait un projet de loi sur l’émancipation économique des femmes. Il a été remisé suite à l’épidémie de coronavirus. La maltraitance économique reste méconnue du public, contrairement aux violences physiques et psychologiques. 

Crédits : Sativa

Interdiction d’accès au compte joint, reproches liés aux dépenses, confiscation de la carte bleue… « On parle plus de violences physiques mais tout le reste on ne dit rien… Il n’y a pas de traces, donc c’est compliqué à prouver », se confie Claire*, victime de violences conjugales. Dans l’opinion publique, ce sujet est souvent « incompris car il est l’un des moins frappants, et en même temps il y a un vrai besoin de le faire connaître », analyse la coordinatrice du mouvement Nous Toutes à Lille, Katy Vuylsteker. En conséquence, les femmes victimes de violences conjugales ont du mal à déceler les violences économiques. 

« Il m’a demandé de lui prêter 500 euros »

Pour Claire*, les violences économiques ont commencé lorsqu’elle et son conjoint se sont installés ensemble, il y a quatorze ans. À l’époque, elle souhaite travailler avec son père, en cuisine. Refus catégorique de la part de son compagnon. « Il me disait qu’il y avait beaucoup de gros porcs dans ce milieu », soupire cette habitante des Hauts-de-France. En l’empêchant de travailler, “l’homme prive la conjointe de sa capacité d’autonomie”, décrypte Katy Vuylsteker. “Sans travail ni collègues, cela permet de conforter l’emprise avec une dépendance économique importante.

La jeune femme a porté plainte deux fois pour violences physiques. Il y a eu une mesure d’éloignement, puis la mise en place d’un bracelet électronique. Aujourd’hui, son conjoint est revenu vivre chez elle. Les coups ont cessé, mais elle vit une pression financière au quotidien. « J’ai appris qu’il s’était déclaré hébergé chez moi dans mon dos, pour continuer à toucher le RSA ». À la maison, Claire fait « ce qu’il veut lui ». Elle a l’interdiction « d’ouvrir les fenêtres lorsque le chauffage est allumé ». Le coiffeur, elle n’y va plus car « il faut penser aux enfants » Paradoxalement, son conjoint lui a demandé il y a quelques jours « de lui prêter 500 euros »

« Former les banques »

« Il y a toujours un tabou autour de ces violences », dénonce Katy Vuylsteker. Au niveau juridique notamment, les violences économiques ne sont pas reconnues comme telles. « Il faut comprendre que toutes les femmes sont concernées, celles au RSA comme les PDG. Il faudrait sensibiliser le grand public sur ces questions et former les banques et DRH, acteurs de premier plan pour mieux détecter cette emprise. » Interrogé à ce sujet, le directeur de La Poste à Lille-République ne voit pas l’intérêt de former le personnel sur ces questions. « Je ne suis pas sûr que ce soit la responsabilité de la banque de s’immiscer. » Pour lui, les violences économiques « apparaissent plutôt au moment de la succession ». Il y a aussi « le problème du secret bancaire »

S’attaquer à la précarité économique des femmes était pourtant l’une des missions du Grenelle des violences conjugales, piloté en septembre 2019. Katy Vuylsteker aimerait que le sujet devienne une vraie priorité du prochain quinquennat. « On pourrait imaginer une grande conférence sur le sujet pour que les médias s’en emparent : expliquer que ça existe, ce que c’est, donner des chiffres. Les féminicides, c’est frappant, mais il y a aussi la face cachée de l’iceberg…»

*Le prénom a été modifié.

Lola Baille et Lucie Beaugé

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