Plusieurs médias l’ont relayé, les violences conjugales ont augmenté d’environ 30% pendant le confinement. La justice s’y est préparée, un traitement en urgence leur a été réservé. Mais faute de pouvoir sortir, peu de victimes ont réellement porté plainte dans certains tribunaux des Hauts-de-France. 

Le 15 mars au soir, chaque foyer se cloître pour deux mois de déplacements restreints et de vie sociale limitée. Le risque est grand pour les victimes de violences conjugales. La promiscuité et l’impossibilité d’échapper aux tensions placent des femmes, et parfois des hommes, dans une position de grande vulnérabilité face aux coups ou insultes de leur conjoint.

Partout en France, on s’inquiète de leur sort. Les numéros d’urgence, le 3919 ainsi que le 114 pour les SMS, sont diffusés un peu partout, jusque sur les tickets de caisse des supermarchés et sur des affichages publicitaires. Des permanences d’aides aux victimes sont installées dans des lieux encore fréquentés, comme les supermarchés. Et dans les pharmacies, le mot de code « Masque 19 » permet de donner l’alerte

Dans ce contexte, chaque parquet s’organise pour audiencer en priorité les cas d’agressions à la personne, et en particulier celles où la main d’un homme s’est levée sur sa compagne. Le message de la ministre de la justice Nicole Belloubet à ce sujet est clair : le traitement des violences conjugales est prioritaire pendant le confinement

« On s’est tout de suite dit qu’il allait y avoir des violences »

« On était préparé », assure Rachel Rein, juge aux affaires familiales du Tribunal de Senlis. « Nous avions prévu chaque semaine un créneau destiné aux situations d’urgence en matière familiale ». Même son de cloche au parquet général d’Amiens, où la crainte de tensions exacerbées à cause du confinement a mis tout le monde aux aguets. « On s’est tout de suite dit qu’il allait y avoir des violences », commente la secrétaire Véronique Parent, également procureure en remplacement à Saint-Quentin durant la première quinzaine du confinement. 

« De manière surprenante, je n’ai pas du tout été saisie en urgence au niveau des violences conjugales », poursuit Rachel Rein. « La crainte d’une pluie de saisines dès la mi-mars ne s’est pas du tout vérifiée, malgré nos connexions régulières à la boîte mail structurelle sur laquelle avocats et particuliers nous saisissent ». Le juge aux affaires familiales traite les plaintes et attribue des ordonnances de protection uniquement si il est saisi par le parquet ou la victime, pour statuer sur le cadre de vie du foyer. On peut donc supposer que cette absence de saisines résulterait d’une réponse immédiate satisfaisante donnée par les parquets. Mais à Avesnes-sur-Helpe, le bâtonnier Jean-Baptiste Henniaux constate que même les audiences du parquet « spécifiquement dédiées aux violences conjugales » n’ont pas été submergées par les comparutions immédiates, au contraire. « Les auteurs ont surtout été placés en contrôle judiciaire dans l’attente d’une audience, mais pour ce qui est du dépôt de plaintes en général, il n’y a pas eu de bond vertigineux », avance l’avocat. 

Une violence confinée, d’autant plus cachée et invisible des autorités

Pourtant, les agressions entre conjoints ont bel et bien augmentées. « Fin mars, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, faisait état d’une hausse des violences conjugales de 32 % en zone police en France et de 36 % en zone gendarmerie après une semaine de confinement », relaie La Voix du Nord. Cette conséquence du confinement est « quasiment mécanique, compte tenu des leviers qui aboutissent aux violences conjugales », d’après Véronique Parent. Pour cette magistrate du parquet général d’Amiens, « les passages à l’acte sont facilités par la promiscuité puisqu’il n’y a plus de moments pour que l’auteur baisse en température et calme ses frustrations »

Et quand violence il y a, difficile d’alerter les autorités compétentes, en tout cas c’est ce qui a été remarqué dans certains tribunaux des Hauts-de-France, à Senlis, Saint-Quentin, ou Avesnes-sur-Helpe. « Par essence, la violence, c’est quelque chose de caché, elle prend toute sa dimension au foyer et les plaintes sont uniquement permises parce que la femme va au travail, faire des courses, ou parce que son mari est au travail », commente Véronique Parent. « Donc on constate une diminution des procédures judiciaires, ce qui paraît logique puisque les victimes ne peuvent pas sortir ». 

« Par essence, la violence, c’est quelque chose de caché, elle prend toute sa dimension au foyer » (source : Pixabay)

Maître Jean-Baptiste Henniaux reconnaît en outre une certaine « fragilité » des associations qui accompagnent d’ordinaire les victimes dans leurs démarches pour saisir la justice. Elles n’ont pu, pendant le confinement, les assister en présentiel et être à leurs côtés en permanence. « Ces collectifs n’ont pas pu jouer leur rôle de transmission vers d’autres professionnels pour demander réparation », commente-t-il. « Et c’est bien dommage car à Avesnes, les avocats avaient tous leur cabinet ouvert ». Tout comme à Senlis où la juge Rachel Rein déplore l’ignorance des victimes sur la façon dont se demande une ordonnance de protection. 

« Il n’y a pas eu de défaillance, les magistrats n’ont rien laissé passer » 

Moins de plaintes donc, mais une vigilance accrue dans les tribunaux. Les mesures de sécurité et les gestes barrières se sont immiscés dans le quotidien des magistrats et avocats qui ont adapté leur travail, sans déroger à la règle de priorité des affaires de violences conjugales. « En matière de défense, avec le Covid-19, il était difficile de rencontrer nos clients. Mais le parquet a facilité la tâche en nous transmettant rapidement la copie dématérialisée des procédures », explique Maître Jean-Baptiste Henniaux qui a assisté à des comparutions immédiates en grande majorité par visioconférence à Avesnes-sur-Helpe. 

À Lille, Maître Blandine Lejeune constate également une réponse de la justice tout à fait dans les règles, malgré la situation sanitaire : « Il n’y a pas eu de défaillance, tous les détenus ont été jugés ». Elle renchérit même : « Les magistrats n’ont rien laissé passer : pour obtenir une levée du contrôle judiciaire dans le cas d’un couple qui s’était réconcilié, l’épouse a été convoquée pour être sûr que c’était bien vrai, on sentait qu’ils avaient peur qu’une récidive leur tombe sur le nez ».

Grâce à la priorité donnée aux affaires de violences conjugales, celles-ci ont été scrupuleusement suivies, peut-être même au détriment de plus petites affaires reléguées à des jugements ultérieurs. Et cette priorité n’est pas nouvelle. « Elle est antérieure au confinement, et le restera après », affirme Véronique Parent, secrétaire général du parquet général d’Amiens. « En revanche, ce qu’on risque d’obtenir, c’est une augmentation des plaintes, justement parce que la parole va se libérer ». 

Avec le déconfinement, et une rupture de l’isolement du couple, il y a espoir que la parole se libère. (Source : Pexels)

Le calme avant la tempête ?

La plus grande crainte est donc celle-ci : les couples se déconfinent, la parole aussi. « Tous les professionnels le disent, parquet, gendarmerie et police : ils sentent que quelque chose va remonter », s’inquiète l’avocat avesnois Jean-Baptiste Henniaux. « Je ne sais pas si on est dans le creux de la vague et qu’on ne voit pas qu’elle arrive… ». Les délais d’audiencement commencent à peser puisque beaucoup de jugements ont été reportés. Comment se rendre encore disponible pour les cas de violences conjugales ? Le parquet d’Avesnes-sur-Helpe s’est organisé pour placer de nouvelles audiences avant le 15 juillet, date des vacances judiciaires. Ces dernières seront d’ailleurs raccourcies d’une semaine et se termineront le 24 août. Au tribunal des affaires familiales de Senlis, on attend les saisies : « Toutes ces tensions, préexistantes ou non au confinement, vont se révéler, c’est sûr. Pour le moment, il y a une inertie liée à cette période un peu contrainte », argumente la juge Rachel Rein. Bizarrement, c’est l’espoir d’une massification des plaintes dans les jours à venir qui anime les professionnels de la justice. Car le travail de réparation n’a pas encore eu lieu. 

Louise Sallé 

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