Au « procès des 51 » violeurs de Gisèle Pélicot, face aux images des viols diffusées en audience, Anna Margueritat, journaliste indépendante qui couvre le procès depuis ses débuts sur son compte Instagram pour le rendre le plus accessible possible, éprouve un phénomène de dissociation. Ce mécanisme de protection du cerveau, lié au stress post-traumatique, est commun aux victimes de violences sexuelles, faisant écho à leur état d’anesthésie émotionnelle et physique au moment des faits. Face à une telle violence, le cerveau préfère disjoncter. La journaliste nous explique.

Pourriez-vous décrire la dissociation éprouvée lorsque vous êtes confrontée aux images des viols commis sur Gisèle Pélicot ?

J’ai trouvé la dissociation comme moyen de protection pour pouvoir supporter ces images. Mon cerveau a activé ce mécanisme qu’en tant que victime, je pense qu’on est beaucoup à avoir vécu, mais qu’on n’identifie pas forcément la première fois que ça nous arrive. Là, je ressens que je me déconnecte. Je suis comme à l’extérieur de moi, je me vois assister à la scène parce que c’est trop violent. Mon cerveau préfère s’éteindre.

Si j’ai l’impression d’avoir le recul des écrans, par identification, par empathie pour la victime face à la violence des images, mon cerveau lâche, parce que je ne peux pas regarder un viol.

Est-ce la première fois depuis les violences sexuelles dont vous avez été victime, que ce mécanisme de protection se met en place ? 

J’ai déjà identifié d’autres moments de dissociation, c’est lié au stress post-traumatique. Mais c’était dans des situations beaucoup moins explicites en termes de violence. Dans des petits détails, un parfum, un bruit particulier, une phrase, un gars qui passe et je me dis « avant j’aurais cru que c’était lui ».

Des petites choses beaucoup plus anodines, mais qui me font sentir que j’ai quelque chose qui est prêt à disjoncter à tout moment, parce que ça va être trop proche de ce que j’ai vécu. Mais ce n’est pas aussi fort que face à ces images, c’est plus une micro dissociation.

À quel moment et/ou par quels moyens vous reconnectez-vous à votre corps ? 

Je ne saurais pas l’identifier, je pense que ça se fait tout seul. Ce n’est pas quelque chose de très concret qui viendrait me reconnecter, et parfois c’est un état qui dure bien après l’audience. Mais je pense que c’est la prise de recul et la mise en parallèle avec les expériences des consœurs et confrères qui assistent aux mêmes images, qui me ré-ancrent dans la réalité. 

C’est vraiment dans la parole que je trouve un exutoire, du réconfort. Se retrouver autour d’un verre, discuter, se faire des blagues qu’on aurait trouvé atroces dans un autre contexte, on en a besoin. C’est notre façon d’évacuer et de cathartiser. 

Propos recueillis par Kenza Lacheb

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