Ouvert en septembre 2024, le dispositif Olympe de l’association Solfa, abrite, aide et accompagne les femmes victimes de violences. Plongée au cœur d’une matinée passée aux côtés des salariées de l’accueil de jour de la structure.

La lumière douce d’un matin de décembre traverse les grandes fenêtres du salon. Elle illumine un canapé crème, une table basse ornée de plantes, un sapin fraîchement décoré et une cuisine entièrement équipée. Sur la table à manger, une sélection de chocolats et de thés est soigneusement disposée, tandis qu’une musique apaisante joue en fond sonore. « Ici, tout est fait pour mettre à l’aise », sourit Anne*, travailleuse sociale et une des salariées de cet accueil du jour, ouvert en septembre 2024, à Armentières. 

La structure est un des deux volets du dispositif « Olympe » [nommé après la féministe française, Olympe de Gouge, NDLR] de Solfa, association de protection des femmes. L’objectif : offrir un espace sécurisé aux victimes de tous types de violences et les guider dans les démarches administratives pour rompre définitivement le contact avec leurs agresseurs. 

L’accueil, ouvert en journée, est conçu comme une maison refuge où les femmes, parfois accompagnées de leurs enfants, peuvent manger, se reposer et se ressourcer.

Dans son bureau d’accueil, Anne reçoit les femmes, qu’elles soient venues pour un premier rendez-vous ou qu’elles soient accompagnées depuis plusieurs mois. C’est ici qu’elles partagent, à leur rythme, leurs vécus et leurs souffrances. Un exutoire, un véritable « safe space » [espace sécurisé, NDLR] où elles peuvent enfin mettre des mots sur leur douleur.

Sur les étagères blanches qui bordent le mur, on aperçoit des dossiers colorés contenant les histoires des femmes suivies. Dedans se trouvent les détails sur leur statut socio-économique, les procédures juridiques en cours et surtout, leur parcours. Un regard triste s’esquisse sur le visage d’Anne : « En moyenne, une femme fait sept aller-retours à l’association avant qu’elle ne se décide de quitter définitivement son agresseur. »

Un « safe space » pour toutes 

L’accueil du jour de Solfa Armentières est aménagé pour ressembler à une maison. Chaque pièce est liée par un fil rouge : une exposition photo des femmes accompagnées par le passé, qui ont réussi à quitter leurs agresseurs et à reconstruire leur vie. Chaque portrait est suivi d’un témoignage et d’un QR code, permettant de retrouver les histoires en version podcast. 

À droite du bureau d’Anne, on retrouve une crèche, aménagée avec des jouets pour les plus petits. Ici, une psychologue d’enfance intervient chaque semaine. Elle prend en charge les enfants des femmes accompagnées, « eux aussi co-victimes », rappelle Blanche*, juriste de l’association. 

Juste à côté, un dortoir équipé de trois petits lits permet aux enfants de faire une sieste.

« Souvent les femmes viennent déjeuner à l’heure du midi, explique Alice, nous leur fournissons un espace pour coucher leurs enfants pour échanger avec elles ou leur permettre de manger en toute tranquillité. » 

Plus loin, on voit un dressing bien rangé où les salariées de Solfa recueillent des vêtements pour femmes et enfants, une salle de bain pour se laver, accompagnée des toilettes équipées des protections féminines et de préservatifs, ainsi qu’une salle  nommée « préparation de départ », où les victimes peuvent stocker leurs affaires en vue d’un déménagement. 

Un soutien humain et juridique

À l’étage, plusieurs bureaux, toujours ornés de grandes fenêtres, de friandises et de photos de l’exposition, accueillent régulièrement des femmes. On suit Alice dans le sien, où tous les vendredis, elle explique les recours juridiques que chacune des victimes peut avoir. « Mes conseils n’interviennent qu’en deuxième temps,” prévient-t-elle pourtant, avant de parler droit, elles ont souvent besoin d’être écoutées et rassurées. » 

Sur le mur blanc de son bureau, des affiches de soutien et de ressources pour les victimes. Sur ces posters, comme sur les photos de l’exposition, la diversité d’origines saute aux yeux. Rien d’anodin : « les femmes racisées ou issues de l’immigration sont plus susceptibles d’être victimes de violences sexistes et sexuelles, explique Alice, souvent, elles se font manipuler par leurs conjoints ou par leurs hôtes en France. Comme elles ne connaissent pas leurs droits, nous essayons de déconstruire les idées sur le système juridique français que leurs agresseurs leur ont inculquées pour les empêcher de partir. » Parfois, cela prend du temps : « Monsieur a une véritable emprise sur la victime. »

« Monsieur » est le mot que les salariées de l’accueil du jour utilisent pour désigner les agresseurs. Ce choix de vocabulaire vise à créer une distance et rappeler aux femmes qu’elles peuvent se libérer. 

En face, dans un vieux bâtiment en briques rouges, on aperçoit le commissariat d’Armentières.« Ça aide, autant que possible », souffle Blanche, souvent amenée à accompagner des femmes qui veulent déposer plainte. Lors de ses interventions auprès de la police, elle constate la complexité de certaines procédures. « Cela fait un an que j’exerce mon métier de juriste en affaires familiales. Régulièrement, le terrain m’apprend les difficultés juridiques, qui semblaient être des procédures simples sur le papier. »

Entre-temps, une femme entre dans le bureau d’Anne, visiblement en détresse. C’est sa toute première visite au sein du dispositif Olympe. Selon la travailleuse sociale, le fils aîné, âgé de seulement 11 ans, a appelé la police après une énième scène de violences infligée à sa mère par son père. « La police l’a menacée de lui retirer ses enfants, parce qu’elle n’a pas quitté son conjoint violent », déplore la travailleuse sociale.

Après près d’une heure de discussion à huit clos, la femme sort, apaisée. Avant de partir, elle lance un « merci beaucoup ». Anne, elle, quitte le bureau quelques instants plus tard, exaspérée : « elle a rétracté la plainte qu’elle avait déposée contre Monsieur. »

Faute d’aide policière, les femmes choisissent l’accueil de jour

À 11h, le soleil éclaire toujours le ciel matinal. La sonnette retentit, annonçant une nouvelle visite. Blanche ouvre la porte à une femme déjà suivie par Solfa. Aujourd’hui, elle vient chercher des conseils juridiques. Ses gestes sont hésitants et légèrement saccadés, contrastant avec sa voix douce et souriante. À son arrivée, on lui propose du thé et des gâteaux, tout en réciproquant son sourire. 

« En moyenne, nous recevons jusqu’à cinq femmes par jour », résume Blanche. Le fait d’être située à Armentières, une petite ville en plein milieu de la campagne nordiste, permet d’accueillir un nombre plus important de femmes issues des milieux ruraux, où la violence reste présente, mais méconnue et minimisée. « Certaines femmes viennent même de régions lointaines, afin d’échapper aux Messieurs ». Cela, malgré l’ouverture récente de l’accueil de jour. 

Blanche partage une autre observation : « depuis le début du procès des viols de Mazan, j’ai reçu trois femmes, victimes de soumission chimique. Elles ne se rendaient pas compte de ce qui leur était arrivé avant la médiatisation de l’affaire. » La juriste constate aussi que les femmes hésitent souvent à déposer plainte, craignant que cela soit inutile ou qu’il soit trop tard. Mais elle tient à les encourager : « rien n’est du temps perdu. » 

* Les noms ont été changés

Elissa Darwish

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