Le protocole féminicide, dispositif de prise en charge psychologique des enfants co-victimes des féminicides, devrait bientôt être appliqué dans le département de l’Hérault. Rose-Marie Toubin est pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Elle nous explique l’importance d’un accompagnement immédiat pour soutenir ces enfants.

Quelles sont les conséquences psychologiques du féminicide d’une mère sur son enfant ?

Il y a une double peine pour ces enfants, ils perdent leur mère et leur père. Ils perdent souvent leurs copains de classe parce qu’ils vont changer complètement de milieu, s’ils sont sous la garde de leurs grands-parents par exemple. Du jour au lendemain, ils perdent tous leurs appuis, et ce, dans des familles qui sont extrêmement traumatisées de ce qu’il s’est passé. Il y a beaucoup de silence, on ne sait pas quoi dire à l’enfant. Il peut alors montrer un repli important.

Paradoxalement, l’enfant peut aussi se retrouver dans un milieu familial un peu plus cohérent que là où il était, lorsqu’il y avait de la violence. Si l’enfant reçoit de l’amour, de la confiance, qu’on le félicite quand il fait quelque chose, il n’ y a alors pas forcément de souffrances psychologiques qui s’expriment.

Bien que vous n’ayez pas encore rencontré d’enfants dans cette situation, comment prendriez-vous en charge un enfant dont la mère a été tuée par le père ? 

On va lui d’abord lui demander comment il va, ce qu’il a vu, ce qu’on lui a dit. On va l’aider à verbaliser. On va lui dire « tu sais, des fois, les adultes se fâchent beaucoup. Et là, ton papa s’est tellement fâché que ta maman est décédée des coups de ton papa » . Il faut que ça soit dit par des professionnels qui sont en capacité de maîtriser leurs émotions. Ce serait terrible qu’on leur mente, qu’ils apprennent la vérité à l’adolescence. Cela créerait chez eux un sentiment de trahison. Ils sont capables de comprendre dès la naissance. Jusqu’à deux ans, ils ne comprennent pas les mots mais ils comprennent les émotions. L’enfant sent bien la gravité de ce que l’on dit.

On va aussi voir comment accompagner et soutenir les grands-parents, si l’enfant va vivre chez eux, afin de savoir où ils en sont par rapport au deuil de leur fille, ce qu’ils ont dit à l’enfant. On va vraiment les accompagner sur le fait de prendre un rôle parental. Il faut qu’ils participent à l’éducation, apprennent à mettre des limites à l’enfant. 

Le protocole féminicide prévoit une hospitalisation de 72 heures minimum pour établir un bilan pédopsychiatrique de l’enfant. Pourquoi une prise en charge immédiate est-elle nécessaire ?

Sans prise en charge, on pourrait observer une tendance à se renfermer, à ne pas aller chercher l’aide. Ce sont des enfants qui développent quand même des autonomies précoces, ce qui crée après beaucoup d’instabilité. 

Si après le meurtre, les enfants sont placés dans des foyers d’urgence sans consultation, ça peut être catastrophique. Il y a énormément de violences. Les éducateurs ne sont pas assez nombreux, pas assez formés et sont débordés. Les enfants peuvent se faire harceler par les adolescents qui ont pris les rênes du foyer. D’où cette hospitalisation, pour prévenir le traumatisme. Car un événement de vie n’est en soi pas traumatique. Ce qui est traumatique, c’est la façon dont on est accompagné. 

Lison LeGloan

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