En France, peu de permanences d’écoute sont dédiées aux femmes étrangères victimes de violences conjugales. L’emprise qu’elles subissent est pourtant exacerbée. D’abord parce qu’elles sont mal informées de leurs droits, mais aussi car les institutions françaises ne les protègent pas toujours. À La Cimade, association qui défend les droits des réfugiés et des migrants, Violaine Husson est responsable des actions « femmes et personnes étrangères victimes de violences ». Elle nous explique les mécanismes d’une double discrimination.
Combien de femmes étrangères victimes de violences conjugales ont fait appel à La Cimade en 2020 ?
Sur 110 000 personnes conseillées par La Cimade, 2 300 l’ont été pour des faits de violences au sein du couple, sachant qu’il y a eu moins de permanences physiques avec la crise.
On a constaté une nette augmentation des appels téléphoniques post-confinement. Les violences ont été extrêmement fortes car les victimes ont été enfermées chez elles, n’avaient plus d’interactions sociales. Même pour des motifs impérieux comme aller chez le médecin, elles étaient accompagnées de leur conjoint violent.
La fermeture des administrations a amené des complications pour les femmes étrangères. Elles ont été moins informées de leurs droits. Mais l’augmentation des violences concerne toutes les femmes, et cela même en dehors du couple. Au travail par exemple, on observe que les agressions sexuelles se sont multipliées.
Comment définiriez-vous l’emprise sur les femmes étrangères ?
Les violences physiques et verbales sont les mêmes que pour les femmes françaises. S’ajoutent à cela des violences administratives avec la confiscation de papiers, le chantage et un manque d’information sur leurs droits, ce qui conforte l’emprise. Le conjoint leur dit : « T’es en France, mais tu ne peux pas porter plainte ! ». Elles ne sont pas informées de ce qu’elles peuvent faire.
L’emprise peut également être liée à la barrière de la langue. Récemment, on a accompagné une femme japonaise, qui a mis trois ans à comprendre que ce n’était pas dans la culture française de taper sa femme. Son mari l’en avait persuadée. En plus de ne pas connaître la langue, elle ne maîtrisait pas les codes. Enfin, il y a l’isolement social puisque le conjoint les éloigne de leurs proches.
En plus des violences administratives, existe-t-il des violences institutionnelles à leur égard ?
Oui. Il y a les policiers qui refusent de prendre les plaintes de ces femmes, car ils pensent qu’elles font exprès de se taper pour avoir les papiers, mais aussi les agents de la préfecture qui constatent avant tout leur situation irrégulière… Chez les médecins également, les remarques peuvent être violentes. On est dans une société encore très patriarcale et anti-étranger.
Ces femmes subissent une double discrimination, celle d’être femme et étrangère, alors qu’elles étaient pour la plupart émancipées dans leur pays d’origine. Elles viennent pour fuir des violences mais aussi pour étudier ou travailler en Europe. Les parcours migratoires sont très variés. Il n’y a pas un profil-type. On reçoit des femmes de tous les continents.
Les femmes étrangères peuvent-elles bénéficier d’une ordonnance de protection ?
L’ordonnance de protection ne fait pas de distinction avec les femmes françaises. Mais dans la réalité, on ne les croit pas toujours. Pour l’obtenir, on va leur demander des preuves intangibles, un divorce, une condamnation pénale de l’auteur… Certains juges aux affaires familiales refusent de délivrer l’ordonnance de protection pour que ces femmes n’aient pas de titre de séjour [ndlr : l’ordonnance de protection donne droit au titre de séjour pour les étrangers].
Si elle est obtenue, l’ordonnance dure 6 mois. Les préfectures peuvent leur donner rendez-vous jusqu’à 8 mois plus tard. Pas de titre de séjour donc, puisqu’elles ne sont plus protégées par l’ordonnance.
De manière générale, les textes sont insuffisants. Quand vous avez sauvé votre peau toute seule, que vous avez passé trois semaines chez votre cousine, il est parfois trop tard pour demander l’ordonnance car il y a un critère de danger imminent.
Les associations et les lignes d’écoute sont-elles adaptées à leurs problématiques ?
Avec la barrière de la langue, il y a souvent un vrai souci d’interprétariat et de prise en charge. Les permanences de La Cimade sont dédiées aux femmes étrangères, car on s’est rendu compte que ceux qui accueillent les victimes de violences conjugales ne sont pas suffisamment formés. Depuis 2004, on a développé une action spécifique, avec à la fois une casquette violences et une casquette droit des étrangers.
Que prévoit le Grenelle des violences conjugales pour les femmes étrangères ?
Il n’y a absolument rien pour elles. Les associations de droit aux étrangers n’ont pas été conviées. Mme Schiappa n’a pas daigné répondre aux sollicitations de La Cimade.
On attend que cela relève du Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, et non pas du Ministère de l’intérieur. Il faut des politiques publiques pour défendre toutes les femmes, peu importe leur situation.
Numéros d’urgence, mieux vaut être française
« Une femme étrangère qui n’a pas de papiers aura du mal à avoir une place. Si la victime appelle le 115, elle ne sera pas prioritaire », révèle Violaine Husson. Dans un article du Monde publié en 2013, la situation était déjà préoccupante. D’après la Fédération des acteurs de la solidarité, une personne de nationalité française avait 47% de chance d’être hébergée en 2012, contre 22% si ce citoyen était non européen. La raison ? Un manque de places dans les hébergements d’urgence, alors même que ce tri opaque est contraire au code de l’action sociale.
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