Les fonctionnaires de police du département ont été sensibilisés spécifiquement aux mécanismes de l’emprise pour améliorer la prise en charge des victimes de violences conjugales. Mais les critiques demeurent nombreuses.

Il m’a tapé dessus, mais c’est vrai que je ne suis pas rentrée assez vite après l’école, ça l’a  un peu énervé. » Avec ses huit années d’expérience comme référente violences conjugales de la police du Nord, Patricia Jeannin, 50 ans, a appris à reconnaître dans ce type de témoignage un signal  d’alarme : les femmes qui minimisent ou excusent les violences commises par leur partenaire sont généralement prisonnières d’une relation d’emprise, qui altère le jugement qu’elles portent sur la gravité des actes commis contre elles. 

Ces femmes redoutent souvent de voir les auteurs des violences mis en cause pour les coups qu’ils ont portés. Et les retraits de plainte sont fréquents. À en croire Patricia Jeannin, environ un tiers de celles qui déposent plainte pour violences conjugales se rétractent dans les 72 heures. « Il y a aussi des femmes qui refusent d’être accompagnées par des psychologues ou des associations et qui refusent les mesures d’éloignement », poursuit la commandante de police. 

Des séances d’une demi-heure 

Dès lors, la prise en charge des victimes de violences conjugales exige une formation particulière des élèves policiers, qui doivent se familiariser avec les mécanismes spécifiques de l’emprise. « Quand on n’est pas formé, on ne peut pas comprendre pourquoi une femme qui a déposé plainte reste dans le foyer familial, souligne Sylvie Oudoire, juriste au Centre  d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Lille, qui intervient chaque année à l’École nationale de police de Roubaix. On aura plus tendance à remettre en cause les plaintes et on pourra moins apprécier le danger qui menace les femmes. » 

En 2019, Patricia Jeannin et son adjointe Isabelle Tournemine ont fait « le tour du département » pour sensibiliser les fonctionnaires de police à la problématique de l’emprise. Des séances d’une demi-heure, destinées à transmettre « les bonnes pratiques » et à mettre en relation les différents acteurs présents sur le département – policiers, associations, centres  d’hébergement d’urgence, psychologues, etc. Elles s’inscrivent dans la dynamique nationale de renforcement de la formation initiale et continue des policiers en matière de violences conjugales initiée par le Grenelle des violences conjugales, organisé par le gouvernement en 2019. 

Objectif : faire connaître aux policiers la posture à adopter face à une femme victime de  violences conjugales, généralement réticente à accuser frontalement l’auteur des violences. Pour éviter que la victime « se bloque », Patricia Jeannin invite ses collègues à « ne jamais émettre de jugements de valeur sur le conjoint, mais se contenter de dire ce qui est puni par la  loi ». Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier que les victimes de violences conjugales sont dans une relation particulière avec leur conjoint. C’est souvent le père de leurs enfants, très souvent elles en sont encore amoureuses. On est dans une violence de l’intime. » 

« Être le plus empathique possible avec la victime »

Pour repérer les situations d’emprise et mesurer le niveau de risque encouru par les victimes, les policiers disposent depuis quelques mois d’une grille d’évaluation du danger mise à disposition par le ministère de l’Intérieur. Celle-ci consiste en une série de questions factuelles qui permettent de caractériser rapidement l’urgence de la situation et, si nécessaire, d’agir pour protéger les plaignantes. Les victimes peuvent alors se voir proposer une solution d’hébergement d’urgence et, à terme, le conjoint pourra être l’objet de mesures d’éloignement. 

Parce que témoigner peut être particulièrement traumatisant, l’accueil appelle aussi une attention particulière de la part des policiers et un effort de sécurisation de la plaignante. « C’est très compliqué de recevoir ce type de témoignage, car poser des mots sur le phénomène est difficile pour les femmes. Lorsque le policier entend la victime, il est obligé de poser des  questions qui sont parfois intimes. Il faut essayer d’être le plus empathique possible avec la victime », détaille Patricia Jeannin.  

Lors du dépôt de plainte, les victimes peuvent rencontrer les psychologues ou les intervenants sociaux présents dans les commissariats, et être mises en relation avec des associations comme le CIDFF. « La réponse pénale ne suffit pas, un accompagnement est nécessaire », explique la commandante de police. Mais le processus de sortie de l’emprise est extrêmement long et s’étale parfois sur plusieurs années selon Julie Quiquempois, psychologue, qui a longtemps travaillé auprès de victimes de violences conjugales : « On estime qu’il faut six à sept départs  du foyer pour arriver à la rupture réelle dans un couple. Plus l’histoire dure dans le temps, plus c’est long et difficile. » 

Appel au rassemblement devant les commissariats 

La police nordiste, pleinement mobilisée contre les violences conjugales ? Kiné à Lambersart,  en proche banlieue de Lille, Blandine Cuvillier raconte une autre histoire. Cet automne, le collectif #NousToutes, au sein duquel elle milite, avait appelé à des rassemblements devant les  commissariats de la capitale des Flandres le 21 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Une action finalement annulée en raison du reconfinement. 

« Quand une femme a le courage de porter plainte, on cherche à l’en décourager, déplore-t elle. On lui demande : « vous êtes sûre ? C’est quand même le père de vos enfants ». Sa parole est constamment remise en cause, ça peut être très traumatisant. » « Bien souvent, les femmes  qui déposent plainte ressortent totalement anéanties du commissariat, corrobore Véronique Martin, coordinatrice de l’association En parler à Lille. Elles se sentent accusées par les questions qu’on leur pose. » 

Culpabilisation, mais aussi culture du viol, manque de considération pour les victimes… Les critiques émises par Blandine Cuvillier et Véronique Martin font écho à l’enquête #PayeTaPolice qui avait recueilli  en 2018 plus de 500 témoignages de femmes mécontentes de leur accueil en commissariat.  Parmi eux, plusieurs sont localisés dans le Nord, comme celui de cette victime de viol qui  raconte les reproches subis en raison de son dépôt de plainte : « Franchement, vous auriez pu régler ça entre vous plutôt que de venir en parler ici… » 

À Lille, Patricia Jeannin reconnaît seulement quelques « maladresses » et jure qu’elle observe « des progrès ». Elle en est convaincue : les choses évoluent dans le bon sens, notamment grâce à l’émergence d’une nouvelle génération de policiers, plus féminine, plus sensible à la question de l’emprise et des violences conjugales. Toujours est-il que la violence de genre persiste dans le Nord : cinq nouveaux féminicides y ont été perpétrés en 2020, selon le Collectif Féminicides par compagnons ou ex

Samuel Ravier-Regnat

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