Avenue du Président Hoover, sur un mur “bien lisse” visible depuis un carrefour encombré par les automobilistes, est collé le slogan “Féminicide arme de destruction massive”. Photo : Louise SALLÉ

Les slogans choc sensibilisant aux féminicides et aux violences conjugales sont placardés sur les murs de Lille plusieurs fois par mois, en soirée, comme dans diverses villes de France. Et les participants à ces actions de collage sauvage sont de plus en plus nombreux. Reportage. 

Place de La République, un petit groupe se forme près de la fontaine en ce soir de novembre. Adeline accueille quelques habitués du collectif “Collages Féminicides” de Lille, qui comprend environ vingt membres actifs, ainsi que des personnes venues pour la première fois s’essayer au collage d’affiches de slogans contre les féminicides. En tout, une quinzaine de jeunes, filles et garçons, majoritairement étudiants, récupèrent des lettres peintes en noir sur des feuilles A4 collées les unes aux autres. 

Est-ce en raison de la couverture médiatique actuelle des violences conjugales que les volontaires sont plus nombreux que d’habitude ? Le Grenelle ne fait pourtant pas l’objet des discussions. L’heure est à la programmation des actions à mener au cours de la soirée, et à la répartition des groupes. Certains se dirigent à pied vers Wazemmes ou en direction du palais Rihour, d’autres en voiture vers le périphérique pour coller « là où il y a des bouchons ». Avant de se séparer, les plus familiarisés aux méthodes du collage préviennent : « J’espère que vous avez votre carte d’identité sur vous, on n’est pas à l’abri d’une garde à vue ». La question des contraventions pose également un souci : « Les filles de Paris se sont pris des amendes à 60 euros la semaine dernière, il faut faire gaffe à la police. On fera un pot commun pour régler le montant ». 

Sur le périphérique, on sensibilise à la vulnérabilité des femmes handicapées face aux violences conjugales

La voiture d’Adeline fait une première halte sous le pont de Tournai. Le précédent slogan collé à cet endroit, « Ne tue jamais par amour », n’a pas disparu. En face, Adeline, Dédé et Candice s’empressent d’ajouter « Violences conjugales : les femmes handicapées en première ligne ». Dans un enchaînement de gestes coordonnés, Adeline passe un coup de pinceau imbibé de colle sur les briques rouges, Candice applique une à une les lettres du slogan, et Dédé repasse une dernière couche, par-dessus, pour fixer le tout.  

Tout au long de la soirée, c’est Adeline qui prend l’initiative de choisir les lieux de collage. La jeune femme a de l’expérience, elle est à l’origine du lancement lillois de « Collages Féminicides ». « Au début, on n’était pas très rassurés, on collait vite. Maintenant on est mieux organisés, et on prend notre temps », explique-t-elle. Cette étudiante de 27 ans en psychologie souhaiterait plus tard accompagner les victimes de violences conjugales. Elle s’oriente vers cette voie-là, poussée par son histoire personnelle. « J’ai subi des agressions physiques et sexuelles lors d’une précédente relation. Ce qui me choque le plus, c’est qu’on ne nomme jamais ces violences, de peur de bousculer l’entourage. Ça les normalise. »

Ailleurs sur le périphérique, un autre slogan est collé, toujours sur le thème du handicap :  “4 femmes handicapées sur 5 seront victimes de violences”. Mais un cri retentit : “Féministes de merde !”. C’était un livreur Deliveroo, filant à toute allure sur son vélo.

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À Wazemmes, on initie des nouvelles participantes au collage

Dans le groupe qui se dirige vers les quartiers de Wazemmes et Moulins, beaucoup sont là pour la première fois. Elles sont six, âgées de 20 à 23 ans, équipées de seaux de colle et de pinceaux. « J’ai déjà fait des collages où on était 3 pour toute la ville », raconte Lucie, dont le statut d’ancienne a fait d’elle l’une des meneuses. C’est elle qui sait où aller, là où les murs sont assez lisses. Là où les collages seront les plus vus par les passants, et les colleuses moins visibles pour la police. « Qui aime bien ne châtie pas » et « Sororité ! Ensemble pour lutter » sont ainsi placés à la vue de tous. 

Parmi les participantes, l’ambiance est décontractée. En passant le pinceau imprégné de colle sur les murs lillois, on se raconte ses études, ses expériences militantes. Pendant que trois personnes collent, trois autres font le guet. Aux environs du marché de Wazemmes, un sifflement retentit. Le groupe se disperse rapidement. Une voiture de police a fait le tour de la halle. Le numéro d’une avocate circule rapidement. Le groupe se reforme immédiatement, une fois la voiture de police éloignée.

Le collage se termine aux environs de 23 heures. En tout, plus d’une dizaine de slogans auront été appliqués dans la soirée, aux quatre coins de Lille. Ils resteront sur les murs quelques jours seulement, voire quelques semaines, mais pas plus, arrachés par des groupes d’anti-féministes, la police ou la pluie. D’autres phrases fleuriront à leur tour. Et le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter. 

Alice Marot, Louise Sallé

Pour contacter le collectif et participer à leur actions : “collages_feminicides_lille” sur Instagram

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