Dans la salle F du Tribunal de Grande instance (TGI) de Lille, celle des comparutions immédiates, sont jugées en moyenne deux affaires de violences conjugales chaque semaine. Mais comment se déroule une audience ? Reportage lors d’un procès où « se cristallisent tous les symptômes des violences conjugales ».
Monsieur S. observe les juges, les yeux écarquillés derrière d’épaisses lunettes. Il hoche la tête, ne semble pas comprendre. L’homme à la barbe blanche marmonne la même phrase depuis le début du procès : « Je … ne me souviens pas. » « Monsieur, est-ce que vous admettez avoir commis des actes de violence contre votre épouse ? », continue, impassible, la juge Bailleul. « Je ne me souviens pas. » La salle du Tribunal de Grande instance (TGI) de Lille reste silencieuse ce lundi après-midi. Seul bruit : dans un coin, assise au dernier rang, une jeune femme sanglote. Une scène qui n’a rien d’étonnant pour ceux qui fréquentent la salle d’audience F, dédiée aux comparutions immédiates. « Il y a au moins deux procès pour violences conjugales par semaine », confirme Chantal David, journaliste au service justice de la Voix du Nord.
« Comment voyez-vous l’avenir avec votre femme, Monsieur ? » « Florissant », répond l’homme sans hésitation. « On s’aime, on a une maison ensemble et une retraite », murmure-t-il. Sa fille ne perd pas un mot de son témoignage. C’est elle qui a accueilli sa mère, pour la énième fois, alors qu’elle s’enfuyait de sa maison : « Ma mère n’a pas pu être là », confie la jeune femme, accompagnée par son copain. Sa mère porte encore les signes de cette dernière violence. Son mari l’a attrapée par le cou et les cheveux avant d’essayer de la jeter dans les escaliers. Comme pour toutes les affaires de violences conjugales, ce n’est pas le premier acte de violence qui passe dans cette salle.
« Il ne le reconnaît pas »
« En cas de violences conjugales, on passe en comparution immédiate seulement si on est un récidiviste », explique Me Kuchcinski, avocat de la défense. En termes simples, on est un récidiviste si on a déjà été condamné pour la même raison. Monsieur S. a été déclaré coupable de violences habituelles en 2016. Quelle est la différence entre violences conjugales et violences habituelles ? « Les faits de violences habituelles se déroulent sur un temps long, alors qu’en cas de violences conjugales on est sur un fait isolé », décrypte encore Me Kuchcinski. En 2016, monsieur S. a évité la prison grâce à deux ans de mise à l’épreuve. Une fois le délai passé, il a juste suffit de quelques semaines pour qu’il recommence. Sa femme n’a pas hésité à porter plainte. Et le voilà à nouveau devant la justice. Mais l’homme, la tête appuyée sur son coude, ne semble pas comprendre les accusations de la juge. Il refuse de prononcer le terme « violence ».
Le défenseur du prévenu, Me Kuchcinski, accepte de raconter les dessous d’un procès de ce type : « J’en ai vu beaucoup et le plus difficile est de leur faire admettre des faits qu’ils ne veulent pas assumer. Pour eux, ce n’est pas de la violence et surtout c’est la faute de la femme qui les a énervés. Il y a beaucoup de prévenus qui ne reconnaissent pas la responsabilité. Il y a une culture de la violence qui est encore très diffusée. » Il poursuit : « Il ne le reconnaît pas : c’est exactement ce que Monsieur a dit lors de l’audience. » En effet, une déclaration de monsieur S. n’a échappé à personne : « Avez-vous commis des violences ? », a demandé la juge, imperturbable. Réponse : « Pour moi non, pour la justice oui. » De quoi faire réagir le public.
« Elle ne demande rien »
Pourtant, le « certificat médical de constatation” ne laisse aucun doute. Le rôle du médecin légiste est crucial dans ces circonstances, parce « qu’il a une incidence sur la qualification juridique des faits », continue Me Kuchcinski. Face à la preuve de cette violence, comment l’avocat peut-il défendre le prévenu ? « Quand les faits sont établis, comme dans ce cas, nous ne les contestons pas. La défense ne peut pas minimiser les faits, elle discute les éléments de contexte et de personnalité. » Monsieur S. est alcoolique. La défense s’appuie sur cet aspect et demande « la prise en charge des soins ».
C’est ce que demande aussi la famille, représentée en partie civile par la jeune avocate Me Bertincourt : « Ce qui est compliqué, c’est que la victime ne demande rien au tribunal. Elle ne demande que la prise en charge des soins de son mari pour qu’il se soigne de son addiction à l’alcool », explique-t-elle en sortant de l’audience, le dossier entre les mains.
Mais comme l’a requis le procureur, le jugement dépasse la requête de la partie civile : monsieur S. sera condamné à 18 mois d’emprisonnement, dont douze de mise à l’épreuve : « L’alcool n’est pas une excuse, mais seulement une circonstance aggravante », déclare le représentant du ministère public. Et tranche : « Dans ce procès se cristallisent tous les symptômes des violences conjugales. »
Arianna POLETTI