À l’Hôtel de police de Lille, l’accueil et l’accompagnement des personnes victimes de violences conjugales font l’objet d’une attention toute particulière.

« Le plus difficile pour les victimes est de se rendre compte de l’emprise et des stratégies de leur agresseur », constate amèrement Patricia Jeannin, cheffe du bureau de prévention et correspondante départementale « aide aux victimes » de la police. Dans le département du Nord, 459* femmes ont été victimes de violences conjugales dans les six premiers mois de 2017. Dans ce même département, les services de police ont enregistré en 2016 quatre meurtres dans le cadre de violences intrafamiliales, 3 319 faits de violences intrafamiliales et 30 viols entre époux. Des chiffres tels font de la réception des témoignages par les officiers de police un enjeu considérable. L’accueil des victimes à l’Hôtel de police de Lille se fait en plusieurs temps : définir les violences, mettre en confiance les femmes victimes, constater les faits, présenter le dispositif d’accompagnement et la prise en charge sociale. Le processus est long et toutes ces étapes sont nécessaires pour traiter des violences conjugales, un fait social complexe.

Un processus judiciaire fastidieux

Les agents de police utilisent des phrases clés pour aborder les violences conjugales : « Vous n’y êtes pour rien » ou encore « La loi interdit ces violences ». Il n’est pas question « de braquer les femmes » lorsqu’elles décident de témoigner. Au contraire, « il faut trouver les bons mots« , confie Patricia Jeannin. Et tout est une question de justesse : il faut leur faire prendre conscience de l’emprise qu’exerce leur compagnon sur elles. Ce processus de rupture de l’emprise nécessite souvent beaucoup de temps. Il n’est pas indispensable de « demander pourquoi elles n’ont pas porté plainte avant » et préférer poser des questions ouvertes en les déresponsabilisant.

Tout l’enjeu des premiers échanges entre les services de police et les victimes consiste à bien identifier les violences subies. Elles sont parfois difficiles à définir, mais qu’elles soient économiques, psychologiques, verbales, physiques ou sexuelles, le droit pénal doit à chaque fois y apporter une réponse adaptée. Le dépôt de plainte est l’épineuse étape de ces entretiens. Dans beaucoup de cas, les femmes victimes de violences conjugales pensent que la situation va s’arranger. A l’Hôtel de police de Lille, une majorité de femmes retirent leur plainte dans les 72 heures. Par peur, honte ou pressions psychologiques. « Si la plainte est retirée, l’auteur n’est pas entendu », signale Patricia Jeannin. Pour autant, la réponse pénale est parfois moins importante pour les personnes victimes que l’accompagnement psycho-social que les services de police mettent en place. Les officiers de police conseillent aux femmes de multiplier les dépôts de plainte à chaque nouveau fait, pour une réponse pénale adaptée. Là encore, le processus judiciaire peut se révéler très long.

Une fois que les faits sont constatés, l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales est mis en place. Psychologues, travailleurs sociaux et juristes travaillent aux côtés des officiers de police dans la prise en charge de ces personnes pour leur apporter un accompagnement juridique, social, psychologique, un hébergement d’urgence et/ou temporaire, un accès facilité au logement, un accès ou un retour à l’emploi. L’accueil suit donc un processus global, à la mesure de la détresse dans laquelle se trouvent ces femmes.

Tous les milieux sociaux sont concernés par les violences conjugales. L’alcool est souvent un facteur de déclenchement important ou en tout cas « un facilitateur dans le passage aux violences », selon Patricia Jeannin. Les stupéfiants aussi, notamment chez les plus jeunes. Là encore, toutes les générations sont touchées. Et contrairement aux idées reçues, « on n’est pas obligé d’être marié pour parler pénalement de violences conjugales », précise l’officier de police.

La prévention pour déraciner les violences conjugales

En partenariat avec les services de police, le département du Nord a aussi mis en place un dispositif de prévention dans les collèges et les lycées. Pour prévenir les violences conjugales, l’idée est d’agir aux racines du mal : le sexisme. Par l’information et la sensibilisation, le dispositif a pour objectif de « parler des violences conjugales pour mieux les combattre », explique Isabelle Tournemine, brigadier de police en charge de ces formations dans les établissements scolaires. Elles ne doivent plus constituer un tabou car elles sont un fait social majeur. Le brigadier constate que les élèves sont très réceptifs : « Il y des classes où il n’y a que des garçons et ça peut paraître difficile d’évoquer ce sujet avec eux justement. C’est difficile parce qu’on parle d’eux et on ne veut pas les faire passer pour des agresseurs non plus. » Tout l’enjeu consiste donc à les déculpabiliser, tout en leur faisant prendre conscience que les violences conjugales touchent tout le monde de près ou de loin.

Lors de ces ateliers, Isabelle Tournemine sensibilise les jeunes élèves à la définition légale des violences conjugales, informe sur le déroulé de la procédure judiciaire et les dispositifs mis en oeuvre pour protéger les victimes. Elle n’oublie pas d’aborder le cas des hommes victimes de violences conjugales et le sentiment de honte qu’ils peuvent éprouver. Là encore, pour venir à bout des stéréotypes.

Marjorie LAFON

* Victimes recensées par le numéro vert 3919 

3919 – Violences Femmes Info – numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Appel anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9 heures à 22 heures du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures les samedi, dimanche et jours fériés.

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