Iléana Heranger est psychologue au service de médecine légale et sociale au CHU d’Amiens. Au quotidien, elle travaille dans l’unité médico-judiciaire où elle prend en charge des femmes et des hommes qui ont déposé plainte. Elle les aide à se reconstruire suite à des violences et des traumatismes. Aujourd’hui, elle nous décrypte les mécanismes de la dissociation afin de mieux en comprendre les rouages.
Pour comprendre la dissociation, vous dites que l’on a besoin de comprendre ce qu’est un traumatisme, pouvez-vous nous en donner une définition ?
Un événement traumatique désorganise le fonctionnement de la personne, ébranle son estime d’elle-même, sa vision du monde, ses croyances. Elle se dit “j’avais confiance dans le monde extérieur” mais après le traumatisme, elle n’en est plus sûre. Un traumatisme peut survenir après un accident de la route, un braquage, une agression sexuelle ou un viol. Les violences sexistes et sexuelles (VSS) sont des événements extrêmement désorganisants, ce sont des situations d’une grande gravité qui entraînent un cortège de symptômes. Mais au bout d’un certain temps, les symptômes finissent par s’apaiser avec une prise en charge.
Je tiens aussi à rappeler que tous les événements ne sont pas traumatiques, ils le sont potentiellement. La perception d’un événement traumatique dépend de la personne, de son parcours de vie, de ses antécédents et de ses traumatismes antérieurs. Mais cela dépend aussi du présent, de son entourage, sa vie sociale et puis surtout de l’après, c’est-à-dire de la prise en charge médicale, psychologique, gynécologique et si l’on a tout de suite été cru.
Pouvez-vous expliquer les mécanismes de dissociation lors d’un acte de violence traumatique ?
La dissociation est une rupture de l’unité psychique car la personne n’est plus connectée à ses émotions. Cette forme de déconnexion est mise en place par le système nerveux pour se déconnecter de la situation présente.
Lors d’un événement qui génère du stress, le cœur s’accélère, les muscles sont contractés, on se prépare à réagir. Une réponse physiologique se met en place et on a alors deux stratégies : le combat ou la fuite. Pour parler de façon plus scientifique, l’amygdale, qui se situe dans le cerveau, a pour rôle de repérer les stimulis et sécréter des hormones qui permettent au système nerveux de s’activer et de gérer le danger.
Lors de l’événement traumatique, l’activité de l’amygdale abaisse son niveau de sécrétion et on dit qu’elle se “fige”. C’est ce figement qui abaisse les communications dans le système nerveux. Il donne l’impression aux personnes qu’elles perdent leurs repères, ne ressentent plus rien, qu’elles ne peuvent plus bouger leurs membres. On reste immobile, on est en état de sidération. La dissociation permet de sauvegarder nos organes, de survivre face à une violence trop dure à supporter. Il est important de rappeler qu’elle est involontaire, qu’elle arrive sur le moment ou dans les heures qui suivent.
Le cortex, une autre partie du cerveau, est responsable de la mise en mots de l’événement : c’est pour ça que les victimes peuvent dire ce qu’elles ressentent mais n’arrivent pas à poser des mots sur ce qu’elles ont vécues. Le souvenir ne se fait pas.
Quelles sont les thérapies possibles pour se réapproprier son corps et sa personne après avoir vécu des VSS ?
Pour les VSS, on propose un traitement par phase. En premier, on a la phase de stabilisation où l’on aide la personne à réguler ses émotions, à prendre de la distance avec les images d’horreur et à être plus présent dans sa vie quotidienne. Ensuite, on a recours à des outils thérapeutiques comme la relaxation, l’hypnose et un travail sur le corps avec par exemple les activités corps et esprit. Je le dis toujours mais on doit passer par le corps pour traiter le traumatisme.
Plus tard, on peut proposer des thérapies comme l’EMDR, qui est efficace pour les personnes ayant subies des VSS. L’EMDR va permettre au patient d’activer les éléments sensoriels d’un souvenir traumatique (images, sons) tout en suivant une tâche spécifique qui va être de suivre avec ses yeux des mouvements des mains ou d’effectuer des tapotements sur ses genoux, ses épaules. Cette technique fait “digérer” des émotions douloureuses et le patient finit par se dire “oui j’ai vécu ça”. Les thérapies permettent d’être dans le présent. Elles sont essentielles car le propre du traumatisme, c’est qu’il ne connaît pas le temps, il est à la fois passé, présent et futur.
Propos recueillis par Mathilde Deparois