Maryse Romeo est agent pénitentiaire. En avril 2022, son ex-compagnon tente de l’assassiner. Prise en charge tant bien que mal par la police et l’hôpital, elle regrette l’absence de mesures pour ses deux enfants, mineurs au moment des faits. Aujourd’hui, elle sensibilise les adolescents à l’emprise, et réclame un protocole pour les familles de victimes de féminicides. 

Avez-vous pu reprendre une activité professionnelle, une vie normale un an et demi après les faits ?

Je suis concentrée sur « l’après ». Je ne suis pas complètement remise physiquement ni mentalement, d’ailleurs je n’ai toujours pas pu reprendre le travail, mais j’occupe mes journées. J’ai décidé de faire des animations de prévention dans les collèges et lycées, sur les thèmes des violences sexistes et sexuelles, du harcèlement, et du consentement. Cela me tient à cœur car mes enfants n’ont pas été bien suivis quand mon drame est arrivé.

Dans les écoles, je trouve que les éducateurs sont dépassés, il y a beaucoup de burn-out chez les professeurs. Ils n’ont pas vu le malaise chez mes enfants, qu’ils étaient bien différents après le drame. C’étaient deux enfants assez populaires, qui organisaient beaucoup d’activités… Deux gamins qui étaient assez vivants. Et le drame les a éteints.

Comment vous et votre famille avez été pris en charge après la tentative de féminicide ?

A l’hôpital, ils m’ont proposé de voir un psychologue étant victime de tentative de féminicide, soumise à des séquelles physiques et morales. J’ai refusé car j’avais une amie, assistante sociale et criminologue, que j’ai préféré voir après la sortie de l’hôpital. Finalement, nous avons convenu que c’était compliqué, par notre proximité amicale et son statut dans la police. Il me fallait quelqu’un de l’extérieur. Aujourd’hui, je vois toujours une psychologue et un psychiatre dans le centre thérapeutique Les Marroniers à Tournai.

Les enfants, eux, n’ont pas été pris en charge pendant mon hospitalisation. La police les a directement interrogés, j’ai trouvé ça déplacé. Ma mère a été très mal reçue par la police, on a mis en doute son lien avec moi. Il y a quand même eu un suivi officieux car je connaissais cette assistante sociale de la police, mais officiellement il n’y a rien eu. J’aurais bien souhaité un protocole comme en France.

Mes enfants étaient trop jeunes, 15 ans et demi et 17 ans à l’époque. Ma fille a dû prendre des décisions et des responsabilités pas du tout adaptées à son âge, comme si c’était elle la maman. Heureusement, l’homme qui m’a agressé n’était pas le père de mes enfants, donc concernant la garde ça change tout. D’ailleurs, je m’entends très bien avec le papa, il était à mon chevet à l’hôpital.

Avez-vous envie de vous engager différemment aujourd’hui, pour sensibiliser à l’emprise, au-delà des écoles ? Voire dans la prise en charge des victimes et de leurs familles ?

Jusqu’il y a peu de temps, je ne faisais que les écoles. Mais il y a 3 semaines j’ai participé à un ciné débat avec un groupe de femmes pour les actions du 25 novembre (manifestation féministe, ndlr). On a regardé le film « L’amour et les forêts » qui parle d’emprise. Ensuite, il y a eu une petite conférence où j’ai osé prendre la parole devant 110 personnes, pour expliquer l’emprise que j’ai vécue.  C’est ce que j’aimerais poursuivre : des conférences dans des milieux médicaux, sociaux, pour apprendre au personnel à agir avec une victime. J’ai le sentiment que les médecins n’ont pas forcément l’empathie nécessaire pour comprendre l’emprise subie. C’est normal, ils voient tellement de cas atroces, ils ont intérêt à se protéger.

Dans l’hôpital où j’étais, les infirmières étaient débordées, le personnel médical dépassé. Une infirmière en particulier pleurait car elle n’arrivait pas à s’occuper de moi. J’aimerai bien donner des formations dans la police aussi. J’ai eu beaucoup de chance car les policiers étaient compréhensifs avec moi, ce sont les mêmes qui aujourd’hui m’aident dans les formations que je donne. Je souhaiterai qu’au niveau de la police il y ait un suivi pendant 3 jours grand minimum, voire le premier mois ! Le choc a été plus difficile pour ma famille que pour moi, j’étais dans le coma donc incapable de stresser. Ils auraient dû avoir une cellule à l’hôpital ou à la police.

Pour l’instant, il y a des centres psycho-médico sociaux (PMS) qui existent en Belgique, avec psychologues, assistantes sociales, infirmières… Ils peuvent par exemple intervenir dans les écoles en cas d’alerte à la bombe, harcèlement, suicide… Je participe à un groupe de parole dans un centre PMS, pour aider les enfants témoins de violences. Tu sais dans les écoles, quand je pose la question « qui a vu des violences au sein de sa famille ? », d’office la moitié de la classe lève la main.

Matteo Vivier

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