C’est un nouvel outil pour protéger les victimes de violences conjugales : mesure phare du Grenelle de l’automne 2019, le bracelet anti-rapprochement est déployé progressivement dans le Nord depuis septembre 2020. Mais à ce jour, seules huit femmes en bénéficient sur l’ensemble du département.
Virginie (1) sanglote doucement. Le féminicide survenu le 4 mai à Mérignac, en Gironde, l’a bouleversée. Elle en est convaincue : si Chahinez Boutaa avait bénéficié, comme elle, du bracelet anti-rapprochement (BAR), la mère de trois enfants n’aurait pas été brutalement assassinée par son mari, ce mardi de printemps. C’est ce qui l’a décidée à témoigner : « Je me suis dit que ça aurait pu être moi. Ça m’a complètement retournée. »
Son boîtier anti-rapprochement, Virginie l’a reçu au début du mois de février, dans le cadre d’un sursis probatoire imposé à son mari par le tribunal de Valenciennes, pour des faits de violences conjugales. C’est un petit téléphone noir, qui la géolocalise et la prévient si « Monsieur », qui porte à la cheville un bracelet également géolocalisant, s’approche à moins de deux kilomètres. Ainsi, elle a théoriquement le temps de se mettre à l’abri pour échapper au danger.
Quand elle est chez elle, Virginie laisse le téléphone charger dans la cuisine, sur le micro-ondes. La quadragénaire l’emmène partout où elle va. Avec l’objet en poche, elle se sent plus tranquille. Elle craint moins de voir son ancien conjoint débarquer, comme ce jour de décembre où il l’avait agressée à son domicile avec un Taser. « Avant, j’avais peur de rentrer chez moi. J’avais la boule au ventre. Avec le BAR, je me sens plus en sécurité. Je vais mieux », sourit Virginie, en instance de divorce avec l’homme avec qui elle a vécu pendant plus de vingt ans.
« Un dispositif rassurant, apaisant et bien fait »
Annoncé lors du Grenelle des violences conjugales à l’automne 2019 puis adopté dans le cadre d’une proposition de loi du député Les Républicains (LR) Aurélien Pradié en décembre 2019, le BAR a été mis en place progressivement dans le Nord. Il a d’abord été introduit en septembre 2020 à Douai, désigné territoire pilote par le ministère de la Justice, avant d’être généralisé à l’ensemble du département. À ce jour, huit femmes bénéficient du nouveau dispositif dans le Nord, selon les chiffres du parquet (2).
Pour l’heure, les associations d’aide aux victimes du département saluent l’arrivée du BAR. « Je trouve que c’est un dispositif rassurant, apaisant et bien fait », avance Louise Rufin, chargée d’accompagner les porteuses du boîtier au Service d’investigation judiciaire, d’accès au droit et d’insertion sociale (SIJADIS) de Valenciennes. Référente à l’aide aux victimes au SIJADIS de Douai, Virginie Naour précise : « Le BAR permet aux victimes de ne rien avoir à faire. Avec le téléphone grave danger [TGD], la victime doit déclencher elle-même l’appel, ce qui peut être compliqué dans une situation de violence ou d’angoisse. »
Le BAR a l’avantage de permettre une action préventive des forces de l’ordre, qui sont alertées dès que l’homme pénètre dans un périmètre de quatre kilomètres autour de la victime. Ce n’est pas le cas du TGD, dont deux bénéficiaires ont été assassinées par leur ex-conjoint en 2018. Pour Zakia Baraka, cheffe de service du pôle violences faites aux femmes de l’association SOLFA à Douai, le bracelet est un outil « complémentaire » qui permet de renforcer l’arsenal juridique de protection des victimes de violences conjugales : TGD, mais aussi hébergement d’urgence, éviction du conjoint… La travailleuse sociale invite à regarder du côté de l’Espagne, où aucune femme soutenue par le BAR n’a été tuée depuis l’introduction du dispositif en 2009. « Là-bas, ça marche très bien », assure-t-elle.
Protecteur et rassurant, le BAR peut également être générateur de stress. Mélanie (1), qui habite dans la région de Douai, est équipée d’un boîtier depuis la sortie de détention de son conjoint, condamné à treize mois de prison après l’avoir menacée avec un couteau. Elle dit que le BAR lui « fait beaucoup de bien », mais aussi qu’il est « anxiogène ». Depuis trois mois, la sonnerie a retenti « une quinzaine de fois », notamment parce que ses parents habitent au même endroit que « Monsieur ». Désormais, elle prévient la plateforme quand elle envisage de leur rendre visite. « Quand le boîtier sonne, on a le cœur qui bat très fort et les mains qui tremblent », ajoute Virginie, qui confie qu’elle se sent un peu « punie » : plusieurs de ses proches vivent dans le village de son mari, et elle n’ose plus aller les voir de peur qu’on croie qu’elle le « provoque ».
Huit bracelets en neuf mois
Par ailleurs, le rythme du déploiement du BAR suscite la polémique, même si, avec ses huit bracelets posés en neuf mois, le Nord figure parmi les départements les mieux lotis en France. Selon des informations confirmées à Rompre l’emprise par le ministère de la Justice, seuls 45 bracelets sont « actifs » sur le territoire national. Le débat public a été relancé par le féminicide de Mérignac, début mai, et le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a déploré sur France Inter que trop de bracelets « restent dans les tiroirs ».
« Un nouveau dispositif, ça prend toujours du temps à être mis en place. Il faut le temps de l’acculturation du monde de la justice, concède Katy Vuylsteker, militante à Nous Toutes dans le Nord et conseillère municipale Europe Écologie-Les Verts (EELV) à Tourcoing. Mais c’est toujours pareil avec ce gouvernement : on fait de belles annonces, de beaux discours, mais derrière on ne met pas les moyens. » « Ça va trop lentement », confirme Nathalie Niedzwialowska, membre du conseil d’administration d’Osez le féminisme et militante à Lille.
Une circulaire à venir
« Le BAR va monter en puissance », promet le ministère de la Justice, qui assure qu’une circulaire sera bientôt mise en circulation pour inciter les juridictions à se saisir davantage du nouveau dispositif. Et rappelle que le BAR, « lourd et contraignant », n’a pas « vocation à équiper toutes les victimes de violences conjugales. » Selon la loi, le juge ne doit le proposer que s’il considère que les autres outils sont insuffisants pour assurer la protection de la victime.
Dans le cadre des procédures civiles, la pose du BAR exige l’accord du conjoint violent, ce qui peut ralentir son déploiement. Mais dans de nombreux cas, ce sont aussi les victimes qui mettent leur veto, selon Louise Rufin, du SIJADIS de Valenciennes : « Beaucoup de femmes que nous accompagnons ont refusé le BAR. Peut-être par peur des répercussions, peut-être parce qu’elles veulent reprendre une vie commune, ce qui semble impossible avec le boîtier… Il ne faut pas oublier que c’est un outil privatif de liberté. »
Mélanie, elle, n’a pas hésité lorsque le BAR lui a été suggéré. « Je n’en pouvais plus. J’avais trop donné de cette violence, et j’avais peur. » Idem pour Virginie, qui n’imagine plus la vie sans son téléphone noir. Mais la mesure a été ordonnée pour une durée de deux ans et elle doute qu’elle puisse être prolongée au-delà de cette période. « C’est court, deux ans. Qu’est-ce que je ferai, à ce moment-là ? Plus rien ne l’empêchera de venir me voir. »
(1) Le prénom a été modifié
(2) Données en date du 30 avril 2021
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