Un stage de responsabilisation à destination des auteurs de violences conjugales est organisé un jour par semaine par le SCJE, à Lille. Objectif : une prise de conscience de tous les types de violence conjugale, même si celle-ci s’avère compliquée pour ces auteurs de micro-violences.
Lundi, 8 h 45. Thibaud*, baskets et survêtement noir, attend sur le trottoir. Il est le premier en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes. « Je suis là pour une petite connerie… », livre ce chauffeur-livreur trentenaire, dont on devine le sourire de gêne derrière son masque chirurgical. Il explique que sa femme, avec qui il est toujours depuis cinq ans, a porté plainte contre lui après qu’il l’a prise par le bras lors d’une dispute. « Une petite dispute… » L’homme patiente à côté d’une porte sur laquelle un écriteau indique : « Service de contrôle judiciaire et d’enquêtes (SCJE) ». Ici, avenue du Peuple belge, à deux pas du tribunal judiciaire, est organisé chaque lundi un stage de responsabilisation destiné aux auteurs de violences conjugales. La journée intervient dans le cadre d’une composition pénale : les participants ont chacun payé 180 euros pour y participer et ainsi s’éviter des poursuites devant le tribunal correctionnel.
Baptiste Catrix, délégué du procureur de la République de Lille et conseiller d’insertion au SCJE, arrive sur les lieux. C’est lui qui pilote la première partie du stage. « Ce sera possible de finir la journée un peu avant ? », lui demande Thibaud, qui semble davantage préoccupé par cette question que par le déroulement de la journée. Le stage est prévu jusqu’à 17 h. Les personnes qui participent à ce stage « sont là pour des faits mineurs qu’elles ont reconnus, des micro-violences », indique Baptiste Catrix. Les micro-violences, ce sont de petits actes de violence physique et psychologique qui, mis bout à bout, détruisent la victime. Ainsi, l’objectif du stage est de susciter un « déclic » chez les participants et leur éviter de basculer dans des violences plus graves.
Comprendre les différentes formes de violence
Dans la salle où se tient le stage, deux hommes et une femme qui ont reconnu des faits de violences conjugales sont assis aux côtés de Thibaud. La pièce est austère, une affiche de sensibilisation aux violences conjugales est discrètement plaquée sur l’un des murs. La moitié des chaises sont vacantes : neuf personnes étaient attendues, quatre seulement se sont présentées. Aux présents, un court-métrage est projeté. « Fred et Marie » est une mini-fiction racontant l’histoire d’une femme sous l’emprise de son mari.
Après la diffusion, les réactions se font timides – « Vous n’avez pas de chance, la semaine dernière, ils étaient plus bavards », souffle Mélina Nespoux, psychologue participant à la journée de sensibilisation. « Comment définiriez-vous la violence conjugale ? », interroge Baptiste Catrix. « C’est quand le quotidien est compliqué… », suggère Émilie*, 44 ans. Vêtue d’un pantalon ample, d’un haut à fleurs et d’une veste en jean, elle est la seule femme présente aujourd’hui. « On essaie d’avoir au moins une femme chaque semaine », précise Baptiste Catrix, tout en rappelant que 12 % des victimes de violences conjugales sont des hommes, selon un bilan des services de police et de gendarmerie dévoilé par le ministère de l’Intérieur en novembre 2020. Muets, les participants préfèrent écouter attentivement M. Catrix, qui détaille avec l’aide d’un diaporama chaque forme de violence conjugale : la violence physique, la violence psychologique, la violence sexuelle et la violence économique.
L’après-midi, piloté par Mélina Nespoux, psychologue clinicienne spécialisée en criminologie et victimologie, est consacré à l’engrenage de la violence conjugale ainsi qu’à ses conséquences. Le stage s’achève par un jeu de « vrai / faux », où chaque participant doit se déplacer à gauche ou à droite de la salle pour donner sa réponse à une problématique. « Mon partenaire doit me demander de l’argent pour les dépenses courantes » s’affiche par exemple au tableau. Chacun se déplace à droite de la salle, pour indiquer la négation. Tout le monde se déplace de l’autre côté de la pièce à la diapositive suivante : « J’encourage mon partenaire à atteindre ses objectifs de vie ». L’objectif est de susciter l’intérêt… mais cela recueille un succès mitigé. Parmi l’assemblée, Aly*, 37 ans, de nationalité turque et ne maîtrisant pas bien la langue française, peine à comprendre ce qu’il observe. Très taciturne pendant toute la journée, ce carreleur père de trois enfants est présent pour des faits de violences sur conjointe remontant à l’été 2020.
Une prise de conscience encore compliquée
Chacun semble avoir compris ce qui était bien et ce qui était mal, mais aucun des participants ne paraît, dans les faits, s’être pleinement identifié à un auteur de violences conjugales. À la fin de la journée, Jean-Baptiste, employé de mairie de 29 ans, baskets, pantalon en jean et manteau épais sur les épaules, lâche : « Je ne pense pas qu’aujourd’hui va m’apporter grand-chose. » Sa compagne a porté plainte après qu’il l’a poussée à l’extérieur de sa maison lors d’une dispute. Lui ne se considère pas comme un auteur de violences conjugales, ne voit pas d’emprise dans sa relation.
Même son de cloche chez Thibaud. « Je l’ai attrapée, je l’ai secouée… Je n’appelle pas ça frapper… », se défend-il, en revenant sur la dispute qui a mené sa compagne vers le dépôt de plainte. Et de poursuivre, sous le regard effaré de Mélina Nespoux : « Les femmes, elles ont la facilité de se rendre au commissariat. Pour rien du tout, elles vont porter plainte. » « Ce n’est pas anodin de porter plainte », lui rappelle à juste titre la psychologue, sans paraître le convaincre pour autant. Tous ont vu la personne qui partageait leur vie craquer au point de se rendre au commissariat, un signe qui ne trompe pas. La plainte vient souvent après des problèmes patents et présents depuis longtemps.
Enfin, à la fois victime et auteure, Émilie semble être la plus motivée à changer son comportement. Son compagnon, dont elle s’est plainte pour des faits de violences, a lui aussi suivi la formation, une semaine plus tôt. « On va en discuter, pour savoir ce que chacun a retenu. On va apprendre à ne pas monter dans les tours, à se canaliser », dit-elle calmement, après avoir récupéré, comme ses camarades de la journée, un document attestant de sa participation au stage. Suffisant pour éviter la récidive ? « L’idée à chaque stage, c’est qu’au moins une personne prenne conscience que la violence est un cycle, prenne conscience de ce qu’est une violence conjugale et comment elle se déclenche », livre Mélina Nespoux. Ce lundi, difficile de dire si chaque participant a véritablement retenu la leçon.
* Les prénoms ont été modifiés.
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