Bien qu’ils soient oubliés dans les chiffres, les adolescents sont aussi concernés par les violences conjugales. Réseaux sociaux, romantisation de la jalousie, manque de prévention… Les mineurs n’échappent pas à ce phénomène. 

Marion* a 17 ans. Malgré l’incertitude liée à la crise sanitaire, elle prépare son bac. Elle adore les matières littéraires. D’ailleurs, elle écrit beaucoup. Depuis toute petite. Ces derniers temps, l’écriture l’aide à se reconstruire, et à mettre des mots sur ce qu’elle a vécu : des violences conjugales.  

Les violences conjugales nous renvoient souvent à cette campagne de l’État montrant une femme en robe de mariée, avec un œil au beurre noir. D’ailleurs, on parle de violences faites aux femmes. Mais les filles en sont aussi victimes. Puisqu’elles ne peuvent se reconnaître dans les campagnes de prévention, elles ne s’imaginent pas être concernées.  

Marion est restée un peu moins d’un an avec Hugo*. Elle l’a rencontré au lycée, il avait deux ans de plus qu’elle, et elle a tout de suite pensé qu’il était l’homme parfait. Puis les insultes ont commencé : « Il s’énervait très rapidement pour un rien, cela pouvait partir d’un seul mot qui ne lui plaisait pas. » Un soir, en mars 2020, ils sont allés voir un match de football ensemble. Quand ils sont rentrés chez Marion, ils se sont disputés à propos d’une fourchette qu’elle ne voulait pas aller chercher. Il est parti s’isoler dans la chambre de Marion, puis il lui a annoncé qu’il partait. À ce moment-là, la soirée a basculé. « Il s’est énervé parce que je ne le retenais pas chez moi, et il a commencé à être violent. Au début, il m’a plaquée contre le mur, en m’étranglant. Il m’a jetée sur le lit, et il a jeté mes affaires dans la pièce : mon ordinateur, mon téléphone… Tout ce qu’il trouvait », raconte Marion.  

Marion était en état de choc : « Il était debout devant moi à me répéter que je méritais de me faire violer, que ça n’allait pas en rester là même s’il partait. » Plus tard dans la soirée, Hugo a attrapé un couteau de cuisine et se l’est mis sous la gorge. « Il a dit qu’il allait se suicider devant moi. Il a ensuite menacé de me tuer, et j’ai dû me battre avec lui pour récupérer le couteau. »  

Après cette soirée, Marion a quitté Hugo, puis s’est remise avec lui juste avant le premier confinement. « La violence physique s’est transformée en violence psychologique. Il m’appelait pour me dire qu’il allait se suicider, que son plus grand regret était de ne pas m’avoir tuée sous les coups… »  Leur histoire s’est terminée quand il y a mis fin en septembre, à son entrée dans les études supérieures. « L’emprise agit comme un barrage, explique Marion. On nous dit souvent “tu n’as qu’à le quitter”, mais on ne peut pas. » 

« L’emprise fait oublier qu’on est un individu à part entière »  

En lisant des articles et en s’informant sur les violences conjugales, Marion a compris qu’elle était sous l’emprise d’Hugo. Pour Marion, être sous emprise, c’est « rester attaché à une personne, peu importe ses actes, qu’on le veuille ou non ». L’emprise fait « oublier qu’on est un individu à part entière ». La définition de Marion est très proche de celle avancée par les spécialistes des violences conjugales.  

Selon Safiatou Mendy, chargée de prévention à En avant toute(s), association de prévention et d’accompagnement des jeunes femmes victimes de violences, la personne sous emprise est isolée, coupée de ses relations. Elle est dévalorisée, jusqu’à penser qu’elle est la raison de tous les problèmes au sein du couple. Malgré tout, elle ne met pas fin à la relation. Ce phénomène survient dans la plupart des relations violentes, qu’elles aient lieu à l’âge adulte ou à l’adolescence. 

Pour accompagner les victimes d’emprise, l’association En avant toute(s) a créé le tchat anonyme et gratuit commentonsaime.fr. Safiatou Mendy, qui fait partie des responsables du tchat, estime que « nous sommes une génération qui n’utilise plus le téléphone pour téléphoner, mais pour écrire. Il y avait un besoin pour un outil mobile, anonyme, du quotidien, que l’on peut utiliser partout. » Depuis sa création en 2016, le tchat a donné lieu à plus de 3 500 conversations entre victimes, témoins et professionnels. 

Des mécanismes propres à l’emprise chez les jeunes

Les violences conjugales chez les adolescents ne prennent pas forcément la même forme que chez les adultes. L’emprise s’installe chez les mineurs à cause d’une  certaine valorisation de la violence et de la jalousie. « Cette romantisation implique une notion de confiance : « Si tu ne ne me laisses pas voir ton téléphone, c’est que tu ne me fais pas confiance » », explique Safiatou Mendy. Cette vision positive de la jalousie, Marion l’a longtemps partagée : « Ma génération idéalise absolument tout. La dernière fois, j’ai entendu une fille de mon lycée dire à ses amies « Moi je veux un mec qui ne me respecte pas ». » Son amie Clara* confirme : « Dans beaucoup de films et de séries que l’on regarde, ce sont des relations malsaines qui sont romantisées. »  

Ces relations violentes sont parfois les premières chez les adolescents. Ils ne savent pas forcément à quoi ressemble une relation saine. C’est ce qu’il s’est passé pour Marion : « C’était mon premier amour. »  « Quand on peut faire une comparaison, on peut se poser des questions plus rapidement », souligne Safiatou Mendy. 

Les réseaux sociaux sont un autre instrument de ces violences. Dans une étude menée par En avant toute(s) sur les tchats reçus par l’association, 20,6% des moins de 26 ans déclarent subir des cyberviolences, contre 15,5% pour les plus de 26 ans. Pour Marion, cela a pris la forme de « revenge porn ». Durant cette soirée de mars 2020, son copain l’a forcée à partager une photo d’elle dénudée sur son compte Twitter – « il m’a frappée jusqu’à ce que je la poste. » Il l’a ensuite supprimée. Il était tard dans la nuit, donc elle suppose que personne ne l’a vue.

Marion s’est instinctivement tournée vers ses amies pour raconter ce qui lui était arrivé. Elle en a parlé à Clara qui, au-delà de la situation de son amie, a été choquée par le simple fait d’être violent à cet âge. Comme beaucoup de mineurs confrontés à des violences conjugales dans leur entourage, Clara s’est sentie démunie, à cause de son jeune âge : « J’étais impuissante, j’aurais voulu en parler à des adultes. »  

Bien que ses amies lui aient conseillé d’aller voir la police, Marion ne s’y est pas résolue. Elle ne comprenait même pas pourquoi elles lui parlaient de cela, tant elle n’avait pas conscience de la situation. Par ailleurs, elle a une relation compliquée avec ses parents, elle ne veut absolument pas qu’ils sachent ce qui lui est arrivé. Or, si elle dépose plainte, ils le sauront forcément. Aujourd’hui, Marion envisage d’aller au commissariat, mais seulement lorsqu’elle sera « guérie ». « Je ne peux pas faire l’égoïste en pensant que je serai la dernière », affirme-t-elle.

Un manque de prévention chez les jeunes 

Les réseaux sociaux peuvent aussi constituer une ressource pour les jeunes victimes de violences conjugales. L’association Nous Toutes, suivie par plus de 300 000 personnes sur Instagram, publie par exemple un décompte régulier des féminicides. Marion explique quant à elle qu’elle s’est renseignée sur le sujet principalement sur TikTok, YouTube, et Twitter. 

En revanche, Marion et Clara n’ont jamais eu d’intervention sur les relations violentes dans leur collège ou leur lycée. « On ne nous parle de rien, et je ne trouve pas ça normal. Tout ce qui touche aux relations toxiques et à l’emprise, ce n’est jamais de la bouche des adultes que j’en ai entendu parler », raconte Marion. Les adolescents font face à un manque de prévention sur le sujet des violences conjugales, ce qui explique qu’ils se trouvent aussi démunis dans ces situations. C’est la raison pour laquelle les associations tentent de multiplier leurs interventions en milieu scolaire dès la classe de 6e. 

* Les prénoms ont été modifiés.

Chloé Becqwort et Sophie Cazaux


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