Les violences conjugales ne se limitent pas aux agressions physiques, elles comprennent aussi les atteintes psychologiques. Moins visibles, celles-ci laissent pourtant des traces. En 2016, l’Insee révélait que 11,61 % des Français·es en couple en étaient victimes.
« C’est arrivé très tôt dans la relation, au bout de deux semaines. Il a commencé à me rabaisser, à me dire que j’étais négligée, que je ne comprenais rien à la vie. » Pendant plus de trois ans, Chloé, une étudiante lilloise de 24 ans, a été victime de violences psychologiques de la part de son petit ami.
Le Code pénal définit ces violences comme le fait de harceler son actuel ou ancien conjoint « par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie et se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».
« Insultes, dénigrement systématique, menaces, chantage affectif, etc. » Marie Fauchille, cadre socio-éducative et responsable depuis 2014 du service social de l’hôpital Seclin Carvin, énumère les différentes atteintes constitutives de violences psychologiques. « Avant les coups viennent les mots », lance-t-elle. Chloé a subi les deux.
Comme elle, 11,61 % des Français·es de 18 à 75 ans, en couple entre 2014 et 2015, ont été victimes de violences morales. C’est ce que révèle le rapport « Atteintes psychologiques et agressions verbales entre conjoints » de l’Insee, rédigé en 2016.
D’après cette étude, les violences psychologiques recensées touchaient alors 12,7 % des femmes et 10,5 % des hommes. Les hommes rapportaient essentiellement du chantage visant à séparer le conjoint de ses enfants, quand les femmes dénonçaient davantage des attitudes de jalousie, des menaces ou des actes de contrôle.
Des traces invisibles
Marie Fauchille se souvient : « J’ai suivi une personne qui ne pouvait plus voir ses proches. Elle était isolée, comme coupée du monde. Elle a eu du mal à admettre qu’elle était victime de violences conjugales. » Selon la cadre socio-éducative, « les paroles peuvent avoir des effets dévastateurs sur la personne », comme des traces invisibles et indélébiles qui empêchent la reconstruction. Chloé confirme : « Sur le moment c’est impossible de prendre du recul, je me suis aperçu bien plus tard qu’il m’avait convaincue de faire des choses aberrantes. Depuis, j’ai peur de baisser ma garde. »
Bien présentes, ces violences sont imperceptibles aux yeux des autres car au-delà de l’absence de marques persiste le silence de la victime. Selon Chloé, cela s’explique par le fait que « dans ce cas-là on veut donner l’image d’un couple heureux, on n’imagine pas que ça puisse nous arriver, pas à nous. Et puis on croit pouvoir faire changer l’autre. » La honte, la fierté, l’amour, la crainte des conséquences : pour de multiples raisons, les victimes risquent alors de se retrouver prisonnières du processus d’emprise.
Le cycle de l’emprise
D’après Marie Fauchille, le processus d’emprise fonctionne selon un cycle composé de plusieurs étapes. Tout d’abord, l’auteur séduit la victime. C’est l’occasion pour lui de découvrir « les failles dans lesquelles il pourra s’engouffrer », explique-t-elle. Vient ensuite la phase de tension au cours de laquelle les violences sont perpétrées, cette étape se caractérise notamment par un « accroissement des menaces et de la jalousie ». La période de tension fait place aux excuses, sans lesquelles la victime risquerait de prendre la fuite. Puis suivent les phases de culpabilisation et de lune de miel. Cette dernière vise à sauver le couple, à repartir sur de bonnes bases. « Mais les violences reviennent toujours et le cycle se répète », observe la responsable du service social de l’hôpital Seclin Carvin.
La culpabilisation, Chloé s’en souvient : « Il me persuadait tellement qu’il valait mieux que moi que j’avais peur de le perdre, analyse-t-elle. Il me disait que j’étais une victime. J’ai perdu dix kilos dans les premiers mois. » Selon Marie Fauchille, l’une des priorités consiste aujourd’hui à « expliquer à ces femmes qu’elles ne sont pas coupables, que ça aurait pu arriver à n’importe qui. »
Des violences punies par la loi
« Ces violences, du fait qu’elles ne laissent pas de traces physiques, sont difficiles à prouver. Pourtant, elles constituent la majorité des cas de violences conjugales, rappelle Marie Fauchille. Au service social, nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne, nous essayons d’orienter les victimes vers des structures adaptées comme les associations Louise Michel et Ecoute Brunehaut ou encore le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). » La cadre socio-éducative insiste enfin sur la nécessaire sensibilisation de la jeune génération et des professionnels concernés pour mettre un terme au cliché selon lequel « si elle reste, c’est qu’elle le veut bien ». Pour permettre aux victimes, aussi, de parler d’un sujet encore tabou.
Chloé, elle, n’a pas parlé. Du moins pas aux autorités. Si elle a réussi à mettre un terme à cette relation il y a un an, elle porte encore en elle les stigmates des violences psychologiques subies. « J’étais sous l’emprise d’un truc plus grand que moi et j’étais trop fière pour fuir, conclut-elle. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir perdu mon innocence. »
Depuis la loi du 9 juillet 2010, les violences psychologiques entre conjoints sont reconnues au même titre que les atteintes physiques. Les auteurs encourent une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
* Le prénom a été modifié
Antoine Morin et Yacine Zehani
Info service :
– Association Louise Michel (Villeneuve-d’Ascq) : 03 20 47 45 15
– Association Ecoute Brunehaut (Lille) : 03 20 57 94 27
– CIDFF (Lille) : 03 20 54 27 66