Isabelle* a découvert du jour au lendemain que sa voisine était victime de violences conjugales. Depuis dix ans, elle la soutient sans parvenir à la sortir de l’emprise de son mari. Isabelle a tout essayé, mais ne perd pas espoir.

« Elle est tombée dans les escaliers et s’est cassé deux vertèbres. Aujourd’hui je sais que c’est lui qui l’a poussée. » Isabelle a découvert il y a quelques années que sa voisine Sandrine, âgée de 60 ans, était victime de violences conjugales. Une voisine, assez proche pour donner à manger au chat, devenue une amie au fil du temps. Avant qu’Isabelle ne l’apprenne, les deux femmes et leurs maris dînaient les uns chez les autres. « Après plusieurs années, Sandrine est venue chez moi en pleurant. Elle portait des traces de coups et m’a tout raconté. » Ce n’était pas la première fois. Elle venait régulièrement la voir quand il haussait le ton. Mais Isabelle ne se doutait pas que leur relation avait pris cette tournure. « Je me suis fait le film dans le sens inverse, j’ai pris conscience de tous les moments où elle n’avait rien dit, de tous les moments où je n’avais rien vu », se désole Isabelle.

Elle a immédiatement fait constater les blessures de son amie. Un rendez-vous vécu comme un second traumatisme. « Son médecin généraliste était réticent à l’examiner pour ce motif » s’indigne-t-elle. A défaut de convaincre Sandrine de porter plainte, Isabelle l’a emmenée déposer une main courante au commissariat. Elle l’a aussi orientée vers une association spécialisée. Pour que Sandrine puisse se rendre aux rendez-vous, Isabelle a dû prétexter des courses avec elle. Son mari n’aurait jamais accepté de la laisser sortir seule dehors. Pendant longtemps, c’est Isabelle qui a caché les mains courantes et papiers administratifs, « car s’il tombait dessus, on ne sait pas ce qui serait arrivé » se remémore-t-elle.

« Isoler pour mieux régner »

« C’est une personne qui vit en permanence avec ses clés, son portable et son portefeuille sur elle, jour et nuit, pour pouvoir s’enfuir en cas de violence » confie Isabelle. Après ces premières démarches,  c’était la peur au quotidien pour le témoin : « Je me sentais responsable. » Si elle ne voyait pas Sandrine deux jours de suite, elle prétextait une excuse pour sonner chez elle et vérifier qu’elle allait bien. Lorsqu’elle croisait son conjoint, Isabelle essayait de rester de marbre : « C’était dur, mais elle avait besoin de moi et s’il apprenait que je le savais, il allait la couper de moi. C’était l’isoler pour mieux régner. » Et c’est ce qu’il s’est passé. Une fois que son mari a appris qu’Isabelle était au courant, il a interdit à sa femme de la côtoyer. « J’allais lui rendre visite quand sa voiture n’était plus garée devant leur maison. Il ne fallait pas que je la mette en danger au prétexte de me rassurer » dit-elle avec du recul. Lorsque le ton montait à travers les murs, elle sortait se cacher derrière un buisson et regardait par la fenêtre pour s’assurer qu’il n’en arrivait pas aux coups. « Mais les mots faisaient froid dans le dos » se hérisse Isabelle. Les insultes fusaient régulièrement.

Les deux amies se fréquentent encore aujourd’hui. Mais le déménagement d’Isabelle à 35 minutes de son ancien quartier a compliqué les choses. Un trajet trop long si le conjoint de Sandrine rentre à l’improviste et découvre qu’elle s’est absentée. Alors c’est Isabelle qui doit se déplacer.

Bien qu’elle ait encore du mal à comprendre pourquoi sa voisine reste habiter avec son conjoint violent, Isabelle ne l’a jamais jugée. Sandrine est amoindrie physiquement et psychologiquement après quarante années de violences verbales et physiques. « Elle sait qu’elle dispose d’une chambre chez moi si elle décide de partir » se dit-elle. Isabelle reconnaît qu’elle se sent parfois impuissante mais parvient à relativiser son rôle  : « Je me dis que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. On ne peut pas aider les gens malgré eux. Seulement être là pour eux. »


L’avis de la police : que faire en tant que témoin ?

Isabelle a adopté les bons gestes, selon Patricia Jeannin, commandant de police et référante départementale de l’aide aux victimes (Nord). « Les moyens légaux pour les proches de personnes victimes de violences conjugales sont quasiment inexistants », déplore-t-elle. Ils et elles ont seulement la possibilité de faire un signalement au procureur de la République par courrier. Seule la victime peut déposer plainte. Pour Patricia Jeannin, la convaincre de déposer plusieurs mains courantes peut-être une alternative, si la victime ne veut pas confronter directement son ou sa conjoint-e. « Ça permet de montrer que les violences étaient récurrentes et on arrive plus tard à une sanction plus sévère », explique-t-elle.
Le premier réflexe est d’appeler le 39 19, le numéro national, anonyme et gratuit pour obtenir des informations. Ensuite, diriger la victime vers une association qui dispose de psychologues lui permet de parler de son calvaire avant de déposer plainte. « Mais surtout, les proches doivent garder le contact, malgré l’emprise du ou de la conjoint-e » insiste la policière.
Isabelle l’avait compris dès le début. L’auteur des violences avait coupé sa victime des autres. « Moi, je l’affrontais sans problème cet homme, explique Isabelle. Mais je suis le dernier maillon sur lequel Sandrine peut s’épancher. Elle a besoin que je reste à ses côtés. Et que je respecte son choix à elle. »

*Les prénoms ont été modifiés

Alix Guiho

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