Dans la lutte contre les violences conjugales, le journaliste a un rôle clé : celui de savoir qualifier des faits précis, respecter les victimes et informer les femmes qu’elles peuvent être aidées. Delphine Beauvais, directrice du pôle violences faites aux femmes de l’association SOLFA (Solidarité Femmes Accueil) nous explique les erreurs à éviter dans le traitement médiatique des violences conjugales.
Ne pas parler de « crime passionnel » et de « drame familial »
« Il avait tué la femme de sa vie : un crime passionnel aux assises », La Dépêche le 22/02/2013 ; « Bordeaux : 30 ans de prison pour un crime passionnel », Sud Ouest le 21/05/2016.
Parler de violences conjugales, c’est d’abord parler de faits. Pour Delphine Beauvais, l’écueil qui revient systématiquement dans les médias est l’usage des termes « crime passionnel » et « drame familial ». « Il n’y a pas d’égalité entre les conjoints. Quand un mari tue sa femme, c’est un féminicide. C’est tuer parce qu’on est une femme », explique-t-elle. Pour contrer les critiques de ceux qui rétorquent que des hommes sont aussi tués par leurs femmes, elle rappelle qu’en « 2016, 29 hommes sont décédés sous les coups de leurs compagnes, ex-compagnes ou compagnon. Sur les 28 femmes auteures d’homicide commis sur des hommes, 60,71% étaient victimes de violences de la part de leur partenaire. Un décès est survenu au sein d’un couple homosexuel masculin. » d’après les chiffres de l’étude « Morts violentes au sein du couple » de 2016.
Bannir les titres qui jouent sur l’humour
« Ivre, il frappe sa compagne pour des grumeaux dans la pâte à crêpe, près de Rouen » le 19/09/17. Ce titre, publié par le site actu.fr, a fait le tour du web. Pour Delphine Beauvais, il y a urgence à arrêter de minimiser les violences conjugales dans la presse : « On retrouve beaucoup ce genre de titres dans les journaux locaux. Ces titres, écrits et publiés par des journalistes ne font finalement rire que ceux qui les écrivent. » Elle insiste, les journaux de presse quotidienne régionale doivent continuer à traiter ce sujet, mais en pensant toujours à respecter la dignité des victimes : « Je me souviens d’un article qui titrait « Le match se termine mal ». C’est de très mauvais goût et c’est aussi très dévalorisant pour la gente masculine. »
Contextualiser
Si un journaliste doit respecter la présomption d’innocence, et donc ne pas accuser sans qu’il y ait jugement, il peut tout de même contextualiser les faits : « Parler du contexte d’une violence, des tensions, de l’emprise, en multipliant les témoignages. » Pour Delphine Beauvais, il ne faut pas oublier de questionner des témoins comme des voisins ou des travailleurs sociaux pour mieux comprendre les situations. Elle ajoute qu’il est important de mettre l’acte de violence conjugale en perspective : expliquer que ce ne sont pas des violences isolées et qu’une femme sur dix est victime de violence conjugale.
Proscrire le terme « femme battue »
Utiliser le terme « femme battue », c’est « induire dans l’opinion publique que les violences qui ne sont pas physiques ne sont pas des violences conjugales », alors que Delphine Beauvais rappelle qu’il y a d’autres formes de violences conjugales. Notamment les violences verbales, psychologiques, économiques, sexuelles notamment par le viol conjugal, voire même administratives, lorsque le conjoint menace de confisquer des documents.
Expliquer le choix des mots
« Pour moi, un journaliste c’est un transmetteur de savoirs, il peut expliquer pourquoi il parle de viol, de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle », car ces termes sont reconnus juridiquement. « Par exemple, une fellation forcée ou l’introduction forcée d’un objet dans la bouche de quelqu’un est reconnu comme un viol dans la loi », ajoute Delphine Beauvais.
Ne pas stigmatiser
« Quelque chose qui m’interpelle toujours, c’est le rapprochement qui est fait dans les articles entre les origines, la culture et l’acte dont est responsable une personne. » Pour Delphine Beauvais, dans ces cas, c’est un auteur face à une victime. Sa religion ou ses origines n’ont rien à voir avec l’acte de violence.
Informer
Quand on parle de violences conjugales, il ne faut pas oublier les personnes qui subissent en silence. Pour que les victimes puissent savoir que des plateformes d’aide sont mises en place, les articles doivent mentionner des informations pratiques : « Le numéro 39 19 devrait être mentionné à chaque article qui traite de ce sujet. » Ce numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences conjugales est gratuit, anonyme, et « n’apparaît pas sur les relevés téléphoniques« , rappelle Delphine Beauvais.
« Prenons la une »
Pour plus d’informations, l’association de femmes journalistes engagées pour une juste représentation des femmes dans les médias et pour l’égalité professionnelle dans les rédactions, « Prenons la une », a rédigé un guide des bonnes pratiques pour un traitement médiatique plus juste des violences faites aux femmes.
Charlotte DUPON