Lorsqu’on parle de violences conjugales et d’associations, on pense à celles qui viennent en aide aux victimes, majoritairement des femmes. Mais dans les Hauts-de-France, l’association Solidarité Femmes Accueil (SOLFA) a fait le choix d’ouvrir un pôle d’un genre un peu particulier pour travailler avec les auteurs de violences conjugales : le Centre Clotaire.

Vendredi 25 mai. C’est la fin de semaine, la fatigue se lit sur les visages des quatre hommes présents pour la réunion du soir. Nicolas*, Georges*, Michel* et Christophe* attendent devant le Point d’Accès aux Droits, où ils se retrouvent trois fois par semaine. Au soleil, ils évoquent le jugement de l’un d’entre eux**, qui se dit soulagé de pouvoir enfin aller de l’avant. Ils savent qu’aujourd’hui, ils vont devoir parler de parentalité. Tous ici sont pères. Une séance que certains, comme Michel, appréhendent.

Séverine Lescoutre, éducatrice spécialisée, vient leur ouvrir. Ils prennent place dans la salle, autour d’une table de réunion. Elle leur explique qu’ils vont devoir parler de leur rôle de père. Face à eux, un tableau à feutre. Claire Dubocquet, étudiante en M2 de psychologie qui a rejoint l’équipe pour son stage de fin d’études il y a quelques semaines, va noter ce qu’ils disent. Séverine Lescoutre leur pose la première question : « Pour vous, qu’est-ce que c’est, la parentalité ? Et aussi, quels sont vos devoirs envers vos enfants, au regard de la loi, mais pas que ?  Ça a l’air bête mais il faut les connaître. » Georges répond immédiatement : « La responsabilité. » Séverine Lescoutre lui fait remarquer que c’est un peu large, mais que l’équipe va le noter sur le tableau quand même. En bleu, les devoirs moraux, en vert, les devoirs légaux. Séverine Lescoutre s’adresse à Georges : « Qu’est-ce qu’il y a comme responsabilité ? – Bah il faut être responsable quoi. – Oui mais c’est trop large comme mot. – On peut avoir des enfants par accident mais il faut être responsable quoi. » Heureusement pour Georges, Nicolas intervient : « On a un devoir alimentaire, déjà. » Les réponses fusent : Georges évoque l’éducation à la maison et à l’école car « c’est très important l’école », Christophe la  « transmission des valeurs », Michel parle de « la sécurité » et Nicolas des « bonnes manières » et de « l’épanouissement », grâce à « des jeux, ou en lui apprenant l’anglais » ainsi que l’hygiène.

« C’est tout ? », demande Roxane Amyot, psychologue. « Il faut être présent aussi », répond George. – Physiquement ? – Oui, mais pas que. – Financièrement aussi », ajoute Michel. Enfin, l’un deux ose dire « l’amour ». Claire Duboquet l’écrit en bleu. Nicolas intervient : « Moi je l’aurais mis dans les obligations. » Roxane Amyot lui rétorque qu’on ne va pas lui faire un procès s’il n’aime pas ses enfants. Elle demande ce qu’il manque. « Le sport ? », ose Michel, encouragé par les autres participants. Non, ce n’est pas cela. « La sexualité ? », tente-t-il. « Ah bah non, ça c’est interdit justement. – Ah oui, c’est vrai. » Il s’est mal exprimé. La salle redevient silencieuse. Chacun essaye de trouver ce qu’il manque. « Vous cherchez trop loin. Pensez à la base », les encourage Roxane Amyot. « Un logement ! », s’écrie Michel. Il a trouvé. Mais il manque quelque chose. « La dernière obligation, c’est celle que vous n’avez pas respectée », dit Roxanne Amyot. « Les violences », dit Michel, penaud. « Oui. C’est celle de créer un climat serein où puisse se développer l’enfant. Si vous ne le faites pas, on peut vous attaquer. » Dans sa barbe, Georges déclare : « Ah bah je devrais attaquer ma mère, alors. » Ils ont listé tous les devoirs auxquels des parents doivent répondre. Juste pour s’en assurer, Séverine Lescoutre leur demande si tous connaissaient ces devoirs. Seul Georges acquiesce.

Transmettre à ses enfants

L’équipe encadrante leur demande maintenant ce que signifie être père pour eux, ce qui ne relève pas du devoir mais qu’ils vivent en tant que pères. Le silence se fait dans la salle, un malaise est palpable. L’un d’entre eux dit timidement qu’ils ont déjà dit les choses les plus importantes.  Roxane Amyot tente de les encourager en leur demandant d’évoquer ce qu’ils aiment faire avec leur enfant et ce qu’ils veulent que leur enfant garde d’eux. « J’aime l’ouvrir sur le monde. En faisant des choses toutes simples, comme un gâteau », répond Nicolas. « Moi, je veux surtout leur transmettre des valeurs, celles des anciens. J’ai des origines étrangères, je veux leur transmettre ça », ajoute Georges. Religion, spiritualité, sens de la famille, souvenirs de vacances, amour du travail bien fait, courage. Ils veulent élever leurs enfants dans tous les sens du terme. Christophe insiste sur la transmission du sens des responsabilités : responsabilité du chien que l’on a voulu, responsabilité des enfants plus jeunes… Michel est plus permissif : il voit peu son fils, « alors quand je le vois, je lui fais confiance. Je le laisse faire, ça le fait mûrir. » S’ensuit un débat sur le rôle d’un parent : faut-il réprimander son enfant s’il fait une bêtise ? Pour Michel, « il faut lui apprendre à ne pas faire mal, à ne pas être méchant », mais pas forcément le punir. Un discours quelque peu surprenant dans le contexte d’un groupe de parole pour auteurs de violences conjugales.

Les mots apparaissent sur le tableau. En bleu, ce qu’ils veulent transmettre, en vert, ce qu’ils ne veulent pas transmettre. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants gardent d’eux, les réponses fusent : « Mon caractère trop nerveux », « Mon absence », « Ne pas être violent comme moi », « L’alcool » … De leurs propres parents, ils disent ne pas avoir gardé grand chose. Rien de bon en tout cas. Mis à part Christophe, qui qualifie son père de « héros qui s’est toujours décarcassé pour ses enfants ». Chacun raconte son enfance, sans trop entrer dans les détails. Si Christophe dit avoir grandi dans « une famille aimante », les autres parlent d’un manque d’amour, de présence ou d’intérêt de la part de leurs parents. Christophe les écoute avec nonchalance en buvant du soda. Même s’il a plus parlé que d’habitude, il est évident qu’il ne souhaite pas trop s’impliquer dans le groupe. Les récits des autres, il ne les écoute que d’une oreille.

« Il y a une différence entre une fille et un garçon »

Alors que Michel exprime sa peur que son fils se rappelle de lui comme d’un homme violent s’il le punit, un débat éclate. Les voix se font plus fortes, chacun y va de son avis. La remarque de Nicolas aurait presque pu passer inaperçue: « Après, il y a une différence entre une fille et un garçon… » Sous-entendu : on ne les élève pas de la même façon selon qu’on est un papa ou une maman. Roxane Amyot écarquille les yeux : « Ah bon, quelle différence ? » C’est Georges qui répond en premier : « Vous savez, le schéma : maman = gentille et papa = méchant. » Nicolas saute sur l’occasion pour expliquer que sa fille lui dit la même chose : maman est plus gentille parce que papa tolère moins de choses. « Mais vous pensez que c’est une différence homme/femme ? Qu’il y a des caractères d’homme et des caractères de femme ? » Tous répondent que oui. Roxane Amyot pointe du doigt que c’est un stéréotype de genre. Nicolas se défend d’avoir des stéréotypes ou d’être misogyne, juste avant d’affirmer que les femmes sont plus douces par nature que les hommes. Et il n’est pas le seul : pour Georges, « on a plus tendance à protéger une fille », qui est plus fragile qu’un garçon, pour Christophe, « un enfant a besoin d’un homme et d’une femme pour s’épanouir, des modèles des deux sexes ». Ni la famille monoparentale ni la famille homoparentale ne trouve grâce à ses yeux. Pour Michel, « les femmes ont un instinct maternel que nous, les hommes, on n’a pas ». Des déclarations somme toute habituelles dans une société patriarcale. Ici, tous ont intégré l’idée que l’homme est dominant et la femme dominée. Les débats s’enchaînent à propos de la soumission, de l’égalité salariale, du harcèlement sexuel… Les arguments sont toujours les mêmes : c’est pas si terrible d’être une femme, ou bien, quelque part, les femmes sont bien contentes de ne pas avoir les même responsabilités que les hommes.

Roxane Amyot clôt la séance : « Soyez vigilants à propos de ce que vous inculquez à vos enfants. » Nicolas lui répond : « Message reçu. » Mais aucun des quatre hommes présent n’a remis en question ce en quoi il croyait au début de la séance. Un coup d’épée dans l’eau ? L’avenir le dira.

Matilde MESLIN

* Les prénoms ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des personnes.

** Lire « Au Centre Clotaire – Episode 4 »

 

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