Dans la banlieue de Lille, des policiers luttent quotidiennement contre les violences conjugales. La Brigade territoriale de sûreté urbaine (BTSU) existe depuis 2013. Elle emploie neuf policiers, femmes et hommes, dans les commissariats de Villeneuve-d’Ascq et La Madeleine. S’ils travaillent aussi sur les vols avec violence et les incendies, les violences conjugales représentent 90% de leurs missions.
« Notre rôle, c’est la réception des plaintes. » Philippe dirige la Brigade territoriale de sûreté urbaine (BTSU) depuis sa création en 2013. Au premier étage du commissariat de Villeneuve-d’Ascq, lui et ses trois collègues reçoivent victimes et auteurs de violences conjugales. Le bureau de Philippe est au fond du couloir. A l’intérieur, un ordinateur, une chaise et une armoire. Rien ne laisse supposer qu’ici, il se consacre aux violences conjugales.
Dans son travail, Philippe se conforme à des règles strictes : « Il faut d’abord voir s’il y a eu flagrant délit. Dans ce cas, on peut user de la force et de la coercition » pour interpeller l’agresseur. Mais avec ou sans flagrant délit, la convocation est systématique. Christine, membre de la BTSU depuis sa création, explique que les policiers doivent travailler « à charge et à décharge. Il faut être impartial ». C’est pourquoi « si les deux versions ne correspondent pas, on demande à la victime si elle veut faire une confrontation », ajoute Philippe. Le chef de brigade est conscient de la difficulté que cela représente, mais insiste sur son importance : « Ça montre que la victime ira jusqu’au bout. » Une seule solution pour échapper à cette confrontation : que l’auteur reconnaisse les faits.
La procédure exige aussi un certificat médical, délivré par le médecin légiste de l’unité médico-judicaire (UMJ). Il évalue les blessures et définit « l’interruption temporaire de travail (ITT). Si c’est plus de huit jours, c’est une circonstance aggravante supplémentaire », explique Philippe. Par définition, les violences conjugales sont déjà une circonstance aggravante. Le légiste peut aussi noter le « retentissement psychologique » de ces violences, même si elles sont « très difficiles à définir ».
Enquêteurs-psychologues?
Quand le certificat est délivré et que la confrontation a eu lieu, la BTSU entame son enquête. Les policiers interrogent l’entourage de la victime et de l’auteur. Philippe préfère s’adresser aux voisins : « C’est plus neutre. » Mais qu’il y ait eu ou non flagrant délit, « l’enquête est la même ». Seuls les délais diffèrent : « En flagrant délit, la procédure prend 48h maximum. En enquête préliminaire, elle dure plusieurs jours. »
Le travail de la brigade exige aussi un accompagnement psychologique. « Parfois, elles déposent plainte et la retirent dans la même journée », raconte Philippe. « Elles viennent au départ parce qu’elles sont perdues. Alors on prend le temps, on leur explique ce qu’elles peuvent faire. » S’il n’a jamais reçu de formation, Philippe s’appuie sur son expérience pour accompagner au mieux les victimes. Il les redirige aussi vers l’association Louise Michel, avec laquelle la BTSU travaille. Une fois l’enquête terminée, la justice instruit l’affaire. Les violences conjugales sont « vraiment prises au sérieux » par les magistrats, selon Christine. « Notre travail s’arrête au moment où le parquet intervient et prend une décision. »
La “méthode escargot”
La BTSU de Villeneuve d’Ascq est une équipe mixte : deux hommes et deux femmes. Un avantage pour Christine : « La mixité, ça laisse le choix de l’interlocuteur. » Si une victime ne se sent pas à l’aise avec un policier, l’équipe fait appel à quelqu’un d’autre. Pour Christine, être une femme peut être « plus simple » dans certains cas : « Les victimes sont parfois introverties et souvent choquées, elles peuvent avoir peur de l’homme en général. Nous, on sait aussi ce que c’est que d’être une femme à la maison. »
Quand on travaille sur les violences conjugales, chaque détail compte : « Le mécanisme est compliqué. On ne rencontre pas quelqu’un qui nous frappe dessus à la première heure. Ça vient petit à petit », explique Christine. Le policier doit savoir mettre la victime en confiance : « Un détail peut tout changer. Une fois, un enfant de victime est resté bloqué sur le tee-shirt d’un collègue parce qu’il avait le même que l’agresseur », note la policière. Pour libérer la parole, « il faut leur expliquer qu’elles sont victimes. On parle de tout, de l’école, du travail, des violences … On tourne autour du pot. C’est la méthode escargot ». À la BTSU, la parole des victimes est prioritaire sur celle des policiers. Ils leur rappellent régulièrement « qu’elles et leurs enfants peuvent [les] interrompre ». L’objectif : mettre « sur un pied d’égalité » la personne qui porte plainte et celle qui la reçoit.
Quand les policiers reçoivent les auteurs, la prise de conscience peut être difficile. « Certains se convainquent que tout est lié à l’alcool ou aux médicaments », précise Christine. D’autres refusent toute responsabilité : « Ils hiérarchisent la violence et font une différence entre la gifle et le coup de poing. Ils pensent que tirer les cheveux ou insulter, ce n’est pas de la violence, mais de la communication. » Pourtant, « que ce soit une gifle ou un coup de poing, la réponse pénale est la même ». La difficulté est alors de ne pas « braquer la victime » et de faire « comprendre à l’auteur qu’il faut que ça cesse ».
Dans les cas de violences conjugales, l’auteur des faits peut voir ses enfants « dans des lieux neutres, avec des assistantes sociales. Ça rassure la dame parce qu’on ne lui prend pas son enfant ». Christine insiste : il y a de « très bons papas qui peuvent être de très mauvais maris ». La policière a conscience que les violences conjugales ont un impact en dehors du couple : « On parle des violences conjugales, mais derrière ça peut prendre toute une famille, avec par exemple des parents qui s’éloignent parce que leur fille ne veut pas parler. »
Camille BRONCHART & Margot TURGY