À la Métropole Européenne de Lille (MEL), un guide sur les violences faites aux femmes est en gestation, avec la volonté d’informer massivement tous les habitants sur le sujet. Entretien avec les principaux acteurs : Aurélie Avril, cheffe de service citoyenneté et jeunesse, Olivier Delaval, chargé de mission prévention de la délinquance et sécurité et Agathe Hamzaoui, assistante de coordination prévention de la délinquance et des violences.
Rompre l’emprise : Pourquoi avez-vous décidé de lancer ce projet de guide maintenant ?
Olivier Delaval: Pour réaliser le guide, nous sommes partis d’un même constat avec les acteurs de terrain. Parmi le réseau de communes de la MEL [métropole européenne de Lille], certaines villes sont dotées d’outils pour traiter les violences conjugales mais d’autres en sont complètement dépourvues. Notre volonté était de faire un guide métropolitain pour que toutes les victimes aient les mêmes informations, les mêmes contacts et les mêmes réflexes sur le territoire. Un guide sur l’ensemble de la métropole, avec une grosse diffusion et une grosse campagne de communication autour.
Aurélie Avril: On n’a jamais assez d’informations sur cette thématique, même s’il y a déjà pas mal de guides, ça n’est pas suffisamment diffusé. C’est de là qu’est né ce projet. Le but est de remettre du lien entre tous les acteurs pour trancher sur des questions importantes.
En quoi va consister ce guide ?
Agathe Hamzaoui: La question du public du guide s’est posée. Est-ce qu’on faisait un guide avec les bonnes pratiques professionnelles ou un guide qui s’adressait aux victimes ? Finalement, le groupe de travail a choisi de réaliser un guide axé avant tout sur les victimes. Quitte à communiquer et à diffuser largement sur le territoire, autant que ça touche directement les victimes. Les professionnels pourront ensuite se saisir des informations pour les utiliser dans leur pratique professionnelle.
Aurélie Avril : Nous souhaitions principalement travailler sur la prévention pour encourager la parole. L’objectif, c’était de moins entrer dans l’explicatif. Ne pas parler que des coups. Le « cycle de la violence » reste théorique et très lointain pour une grande partie de la population.
Comment fonctionne le groupe de travail ?
Aurélie Avril, Agathe Hamzaoui et Olivier Delaval : Le groupe est composé d’élus locaux et de différents services : des associations comme Louise Michel et SOLFA [Solidarité Femmes Accueil], l’Association Intercommunale d’Aide aux victimes et de médiation 59 [AIAVM 59], l’ARS [Agence Régionale de Santé], le Centre hospitalier d’Armentières, le SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation], le parquet avec Nicolas Walczak [substitut du procureur en charge de la question] et bien sûr, les villes.
A.A: C’est un principe de co-rédaction. Le but est de remettre du lien entre tous les acteurs pour trancher sur des questions importantes, comme le relogement. Chacun a sa manière de travailler et son propre curseur, il peut y avoir des oppositions. Mais ce n’est pas la commande politique de tout traiter, ça peut parfois créer des frustrations. Ce qui nous paraissait le plus important, c’était de créer un système d’alerte. Le point d’ancrage, c’est que ce soit compréhensible de tous les milieux sociaux et culturels, pas que l’on soit satisfait d’avoir tout dit. Ça tient à la nature même du sujet : la pluralité des formes de silence, les situations, les manières de réagir. Mais même si tout ne peut pas être dit, il faut qu’il y ait l’information, surtout la plus simple : il y a un coup, il y a un crime. C’est plus compliqué quand ce sont des mots, car tout le monde n’est pas d’accord sur ce qu’est le harcèlement, par exemple. On voulait de l’information courte, pratique et efficace.
Quelle forme va prendre le guide ?
A.A : Ce sera un court dépliant, principalement axé sur de la prévention, avec les numéros utiles, comme le 3919 ou le 17, les différentes étapes, les permanences téléphoniques etc. Le but c’est que les personnes victimes de violences partent avant d’entrer dans un cycle de violence, prévenir avant d’en arriver à la plainte. Un guide papier ne suffisait pas. On a donc décidé de le coupler à un spot télévisuel à diffuser le plus largement possible pour les personnes qui ne savent pas lire, qui n’ont pas envie de partir avec un papier ou qui ne peuvent pas prendre le temps de lire une brochure. On imagine qu’il sera diffusé dans les salles d’attente, les halls, dans le réseau Transpole, à la CPAM [Caisse primaire d’assurance maladie], à la Poste, etc. Tous les endroits publics fréquentés dans lesquels la MEL peut avoir une influence. C’est un spot d’information de moins d’une minute trente traitant des premiers réflexes quand on est victime ou témoin de violences conjugales. Le personnage sera asexué pour laisser libre l’imagination et que chacun puisse s’identifier.
Pourquoi faire un guide supplémentaire sur ce sujet ? Qu’a-t-il de différent des autres ?
A.A : Nous n’avions pas l’ambition de faire mieux que les autres guides, on ne peut pas faire LE « méga guide ». Nous voulons juste que tout le monde ait l’information. Certes, il y a déjà 15 000 guides, mais ce n’est jamais suffisant. Il faut celui de plus, celui qui sera peut-être lu parce qu’il est nouveau ou d’une autre couleur. C’est une volonté de diffusion de l’information. Le guide de Lille, par exemple, est déjà très complet, très didactique, mais il manquait les dispositifs mis en place. Les professionnels disent que les guides sont trop longs pour les victimes qui n’ont pas le temps. Notre guide va présenter de l’info courte, précise, complète, efficace, à la façon d’un dépliant de communication.
A.H.: C’est aussi pour que des territoires beaucoup moins dotés en moyens puissent avoir un outil.
A.A. : La MEL n’a pas de pouvoir de coercition, tout se fait sur la base du volontariat. Nous avons donc l’ambition d’être convaincants. Le groupe de travail, c’est la vraie force, ils sont aussi relais.
Quel budget est consacré au guide ?
A.A. : Notre budget pour la rédaction du guide et le spot est de 16 000€, avec une partie internalisée. Ça, c’est pour le premier jet. Il peut être revu à la hausse par la suite. Nous n’avons pas de budget pour un site avec les outils créés car nous n’avions pas d’intérêt à en créer un. Par contre, le film et le guide dématérialisés seront mis à disposition gratuitement sur les sites dédiés. L’idée, c’est que chacun puisse s’en saisir quand il veut et où il veut. Nous avons prévu un tirage gratuit pour les associations qui le souhaiteraient.
Et l’étape d’après ?
A.A. : Potentiellement un deuxième guide, adapté ou complété, toujours dans le schéma métropolitain. Par exemple sur les enfants victimes ou l’accompagnement des maris qui perpétuent les violences. Notre volonté, c’est de nous adapter aux problématiques d’actualité, ne pas s’en laver les mains dès que le guide sera terminé.
Propos recueillis par Juliette BAËZA & Camille BRONCHART